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Réussiront-ils autant qu’ils le voudraient ? Qui oserait le dire ? Personne ne croit assurément que la majorité qui s’est prononcée pour M. Brisson à la Chambre, à la fin de la session dernière, soit sincère et solide : il faudrait bien peu de chose pour la disloquer. M. Brisson doit sans doute ménager les radicaux et les socialistes, mais il doit ménager aussi ces nationalistes qui ont pour chefs MM. Déroulède et Drumont, dont la colère contre lui pourrait lui devenir funeste, et qui ne laissent passer aucune occasion d’opposer M. le ministre de la Guerre à M. le président du Conseil. La situation est embarrassante pour celui-ci, et les lauriers de ses premiers jours ministériels pourraient se changer assez vite en cyprès. Belle et instructive démonstration de la justice immanente des choses, s’il était renversé, dans quelques mois, par ses propres amis, pour avoir suivi une politique modérée ! Car enfin cette politique serait-elle à ce point nécessaire, nous voulons dire à ce point imposée par les circonstances et par le vœu du pays, que M. Brisson lui-même ne pourrait pas y échapper, et, pour en distinguer la sienne propre, devrait se contenter d’y commettre quelques maladresses, ou de la relever par quelques brutalités ? Mais alors, qu’est-il venu faire au gouvernement ? Pourquoi le lui a-t-on offert ? Pourquoi l’a-t-il accepté ? Nous le saurons sans doute un jour, à moins que M. Brisson ne l’ignore peut-être lui-même, et qu’il n’y ait vu qu’une occasion de reprendre la campagne de désorganisation secrète, mais sûre, si bien commencée par le précédent ministère radical.


Les vœux que nous formions pour le rétablissement de la paix entre l’Espagne et les États-Unis seraient-ils enfin sur le point de se réaliser ? Les nouvelles de ces derniers jours permettent de l’espérer. Le gouvernement espagnol a compris, comme toute l’Europe le lui avait insinué et suggéré, que, l’honneur étant sauf, et largement, le jour était venu d’entrer dans la voie des négociations. La difficulté était de savoir comment on s’y prendrait. Les rapports politiques étaient interrompus entre les deux pays par le fait de la guerre : il fallait donc trouver un intermédiaire bienveillant qui voudrait bien se charger de mettre diplomatiquement en contact deux puissances qui ne l’étaient que militairement. Le gouvernement de la République française a paru propre à remplir ce rôle, et il l’était en effet, parce qu’il est également ami de l’Espagne et des États-Unis ; qu’il a gardé, quoi qu’on en ait dit, une parfaite correction d’attitude entre les deux belligérans ; enfin que son désintéressement personnel, dans toute