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tout de même ? Ne reviendra-t-il pas ? s’il ne revenait pas, quelle désobstruction ! Combien les choses deviendraient plus claires ! Et combien l’affaire Dreyfus elle-même, en admettant qu’il y en ait une, reprendrait plus de limpidité !

Au reste, M. Zola n’a pas de chance ; il joue de malheur ; il n’est pas l’homme heureux et répandant le bonheur autour de lui que recherchait un grand ministre du temps passé. Les affaires dont il se charge tournent mal, et la sienne propre tourne plus mal encore, s’il est possible.

On a vu qu’il avait fait un appel direct à l’opinion et que c’est avant tout sur elle qu’il comptait. Or, il n’y a presque aucun rapport entre les moyens d’agir sur l’opinion, et ceux que peut fournir la procédure pour agir sur des hommes de loi. Quoi qu’en pensent, ou plutôt quoi qu’en disent ses adeptes, il est très fâcheux pour M. Zola d’avoir plusieurs fois déjà déserté le débat, lorsqu’il s’ouvrait devant lui, et finalement d’avoir passé la frontière. On aura beau expliquer que cette fuite est une subtilité de procédure, ingénieuse dans le présent et pleine de ressources pour l’avenir, c’est ce qu’on ne fera jamais comprendre à la très grande majorité du peuple français. Si on ne s’adressait qu’à des magistrats, à des avocats, à des avoués, à des huissiers, à des porteurs de contraintes, ces roueries pourraient être appréciées comme elles méritent sans doute de l’être ; mais nous avons vu que M. Zola avait renoncé à plaider sa cause devant ce public trop restreint, et qu’il avait voulu en saisir le pays tout entier, voire l’univers. Un premier coup d’éclat en exigeait une série d’autres, M. Zola s’était condamné à procéder à la manière des hommes providentiels, sûrs de leur fait, toujours prêts à accepter le combat et marchant de victoire en victoire. Alors, il pouvait étonner les imaginations et les conquérir. Au lieu de cela, il bat continuellement en retraite. Il fait plus, il va se mettre en sécurité à l’étranger. Quand même il aurait, pour agir ainsi, les meilleures raisons du monde, les mieux justifiées, les plus convaincantes, elles ne seraient ni bonnes, ni probantes pour le grand public auquel il a voulu s’adresser. La flamme qu’il avait prétendu allumer à son front s’est éteinte. On ne voit plus qu’un homme qui se sauve, et le procédurier trop modeste fait un tort irrémédiable au héros orgueilleux sur lequel on comptait. Quand on a assumé le rôle que M. Zola s’est donné à lui-même, sans que rien l’y obligeât, il faut en subir vaillamment les conséquences, même les plus mauvaises, surtout celles-là. Et c’est ce qu’un romancier devrait savoir, s’il connaissait vraiment les ressorts qui font agir les hommes et s’il les avait