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œuvres, et l’universalité des sujets qu’il a traités, on est émerveillé de tout ce qu’il montre de qualités qui semblent s’exclure. A l’admiration qu’on éprouve pour le grand artiste, il convient de joindre celle que doit inspirer l’homme excellent, simple, plein d’affabilité et de vaillance qui se révèle si noblement à nous dans ses actes, dans les témoignages unanimes que nous ont laissés sur lui ses contemporains. En revoyant ce qui reste aujourd’hui de la demeure où s’est passée cette glorieuse existence, tant de souvenirs qu’elle évoque naturellement reviennent enfouie à l’esprit. C’est avec une émotion bien légitime que, de chaque côté du portique élevé dans la cour de cette demeure par Rubens lui-même, on peut lire encore les inscriptions empruntées à la dixième satire de Juvénal et qu’il avait fait graver à cette place, bien en vue et pour les avoir toujours sous les yeux. Sans doute, le choix de ces inscriptions l’avait vivement préoccupé et il ne s’y était arrêté qu’après maint débat avec ses doctes amis, Rockox et Gevaert. En tout cas, c’est bien l’expression de sa pensée que nous offre ce programme d’hygiène physique et morale auquel il se proposait de conformer ses actions. La franche acceptation de notre destinée, la soumission absolue à la Providence qui mieux que nous-mêmes sait ce qui nous convient, cette prière pour obtenir la santé du corps et celle de l’esprit, la force d’âme, le courage en face de la mort et cette entière possession de soi-même qui nous garde de la colère aussi bien que de tout désir excessif, telles ont été, en effet, les aspirations constantes, tel a été l’idéal de Rubens. Cet accord exquis d’un grand talent, d’un esprit très libre et d’une âme très haute, il s’est appliqué de son mieux à le réaliser. La volonté a été une de ses qualités maîtresses. Si elle ne suffit pas à expliquer son génie, nous voyons du moins la place qu’elle a tenue dans cette vie si bien conduite, assurément une des plus heureuses et l’une de celles qui honorent le plus l’humanité.


EM. MICHEL.