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trêve et cette production à outrance, qui étaient pour lui un plaisir et un besoin, devaient inévitablement amener des désordres assez graves dans sa santé. La goutte, dont il avait de bonne heure éprouvé les atteintes, se fit avec les années sentir d’une façon de plus en plus cruelle. Très jeune encore, son front avait commencé à se dégarnir de cheveux, ainsi que nous le prouvent un de ses deux portraits des Uffizi et celui qui figure dans le tableau connu sous le nom des Philosophes (Palais Pitti). Dans les trois beaux portraits peints un peu plus tard, — l’un est à Windsor, un autre également aux Uffizi, et le troisième, fait pour Peiresc, est aujourd’hui à Aix chez M. Gillibert, — le maître a dissimulé, non sans quelque coquetterie, cette calvitie précoce sons un chapeau à larges bords, crânement relevés. C’est le souvenir de ces dernières images, consacrées par la postérité, qu’évoque naturellement à l’esprit le nom de Rubens et c’est bien ainsi qu’il nous apparaît à l’apogée de sa carrière, au comble de sa gloire et de la fortune, fièrement campé, sans une ride au front bien qu’il ait déjà dépassé la cinquantaine. La peinture, du reste, s’accorde de tout point avec la description de De Piles qui nous vante « sa taille élevée, son maintien plein de dignité, son teint vermeil, ses cheveux d’un brun châtain, ses yeux brillans, pleins de feu, mais d’une expression douce et souriante comme sa physionomie. » Bien qu’un peu postérieures, deux autres œuvres du maître, la Promenade au jardin de la Pinacothèque de Munich et l’admirable tableau : Rubens, Hélène Fourment et leur enfant qui appartient à M. le baron A. de Rothschild, confirment ce double témoignage. En se montrant à nous près de sa jeune femme, il semble que l’artiste ait voulu dans ces deux tableaux se faire à lui-même illusion. À voir ses allures dégagées, sa taille si bien prise, son costume d’une élégance plus recherchée, on ne croirait jamais qu’il existe entre l’âge des deux époux un écart si marqué ; mais en réalité il a plus de cinquante-trois ans, elle n’en a guère plus de seize. Il touche à la vieillesse ; elle n’est qu’une enfant. Quelques années encore et les effets de ce mariage disproportionné vont s’accuser très rapidement. Bientôt même le contraste deviendra si saisissant que désormais Rubens évitera les comparaisons fâcheuses qu’autoriseraient ces rapprochemens. Il continuera à peindre sa jeune femme magnifiquement accoutrée, dans tout l’éclat de sa beauté épanouie, mais il ne fera plus de lui-même qu’un seul portrait, celui du Musée de Vienne qui le représente