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part de son travail. Mais, pour ne pas aller jusqu’à la fatigue et pour maintenir son ardeur sans risquer d’épuiser sa verve, il coupait sans doute cette séance matinale par une visite à l’atelier de ses élèves. Très habile à juger les hommes, il arrivait bien vite à discerner les aptitudes de chacun d’eux et à reconnaître ce qu’il pouvait attendre de leur concours. C’est d’après l’appréciation de leurs diverses aptitudes qu’il avait organisé la division méthodique du travail de collaboration auquel il les associait et qui comportait pour eux tous les degrés de participation. Nous aurions tort de juger suivant nos idées actuelles cette façon de procéder qui était admise par les mœurs du temps. Suivant les conditions de l’apprentissage, en effet, les travaux des élèves, jusqu’au moment où ils étaient eux-mêmes admis à la maîtrise, appartenaient de droit à leurs maîtres. Rubens n’avait garde de négliger les facilités mises ainsi à son service. En homme d’ordre qu’il était, il entendait profiter de tous les moyens qui s’offraient à lui de tirer parti de son talent et il n’aima jamais à renvoyer les mains vides les amateurs désireux d’avoir de ses ouvrages. Si quelquefois leurs propositions étaient trop modiques, il pouvait se faire qu’il les adressât à des confrères moins bien partagés que lui ; mais le plus souvent il acceptait les moindres commandes, quitte à ne leur consacrer qu’un temps proportionné à la rémunération qu’il devait recevoir. Les prix variaient suivant la part plus ou moins grande qu’il avait prise à leur exécution. Sans doute, à ne considérer que le souci exclusif de sa réputation, il eût été préférable que tout ce qui sortait de son atelier fût digne de lui et montrât toute la perfection dont il était capable. Mais alors que la démarcation entre l’artiste et l’artisan n’était pas encore très nettement établie, il n’y avait là, en somme, qu’une question de prix à débattre entre l’amateur et le peintre : chacun n’était lié que dans la mesure où il s’était engagé. Comme Rubens n’a que très exceptionnellement signé ses tableaux, pas plus ceux qui sont entièrement de sa main que ceux à l’exécution desquels il est resté presque étranger, c’est le mérite seul des œuvres qui sortaient de son atelier qui établissait leur valeur.

Mais ce n’étaient pas seulement des peintres, c’étaient aussi des graveurs qui travaillaient sous ses ordres. Ils avaient donc aussi à conférer avec lui, à lui soumettre les épreuves des planches en cours d’exécution d’après ses œuvres. Un grand nombre de ces épreuves corrigées par lui, et qui appartiennent au Cabinet