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Entraînés par leurs chevaux, à qui, dit-on, ils avaient reçu l’ordre d’enlever les gourmettes, excités eux-mêmes par la course, le bruit, la lutte, la victoire, et mis en train, dit-on aussi, par une copieuse distribution de gin, les Anglais traversent le vallon à une allure furieuse et s’engagent sur le coteau opposé. En vain lord Uxbridge fait sonner la retraite, ses cavaliers n’entendent rien ou ne veulent rien entendre et gravissent au galop les positions françaises. Ils n’y peuvent mordre. Les Life-Guards et les dragons sont décimés par le feu de la division Bachelu, établie près du mamelon à l’ouest de la route. Les Scots-Greys rencontrent à mi-côte deux batteries divisionnaires, sabrent canonniers et conducteurs, culbutent les pièces dans un ravin, puis assaillent la grande batterie. Les lanciers du colonel Martigue les chargent de flanc et les exterminent, tandis que ceux du colonel Brô dégagent la division Durutte de l’étreinte meurtrière des dragons de Vandeleur. « Jamais, dit Durutte, je ne vis si bien la supériorité de la lance sur le sabre. » C’est dans cette mêlée que fut tué le vaillant général Ponsonby. Désarçonné par un sous-officier du 4e lanciers, nommé Urban, il s’était rendu, quand quelques-uns de ses Scots-Greys revinrent pour le délivrer. Urban, craignant de perdre son prisonnier, eut le triste courage de lui plonger sa lance dans la poitrine. Après quoi, il fondit sur les dragons et en abattit trois[1].

La belle charge des lanciers fut bientôt appuyée par la brigade de cuirassiers du général Farine. L’Empereur, apercevant les Ecossais-Gris prêts à aborder la grande batterie, avait fait porter l’ordre au général Delort, divisionnaire de Milhaud, de lancer contre eux deux régimens. Lanciers et cuirassiers balayèrent le versant de la Belle-Alliance, le vallon tout entier et poursuivirent les gardes à cheval et les dragons jusqu’aux premières rampes de Mont-Saint-Jean, au delà de la Haie-Sainte. Les brigades de cavalerie légère Vivian et van Merlen qui avaient suivi de loin le mouvement de lord Uxbridge, ne crurent pas bon de s’engager.

Il y eut un arrêt dans l’action. De part et d’autre. on regagnait

  1. Un parent du général Ponsonby, le lieutenant-colonel Ed. Ponsonby de la brigade Vandeleur, fut grièvement blessé dans la même mêlée et resta sur le champ de bataille jusqu’au lendemain matin. Il a fait le récit des seize ou dix-huit mortelles heures qu’il passa là. Le soir, un tirailleur français se coucha derrière le corps du colonel Ponsonby, s’en servant comme d’une sorte de remblai, et commença à tirailler contre l’ennemi. Tout en tirant, il causait gaiement avec l’officier anglais. Quand il eut épuisé sa giberne, il s’en alla, en disant : — Vous serez bien aise d’apprendre que nous f... le camp. Bonsoir ! mon ami. »