Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/611

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bien que son œil exercé ne lui permît pas le doute, il hésita d’abord à reconnaître des troupes. Il consulta son entourage. Toutes les lorgnettes de l’état-major se fixèrent sur ce point. Comme il arrive en pareille occurrence, les avis digéraient. Des officiers soutenaient qu’il n’y avait pas là de troupes, que c’était un taillis ou l’ombre d’un nuage ; d’autres voyaient une colonne en marche, signalaient des uniformes français, des uniformes prussiens. Soult dit qu’il distinguait parfaitement un corps nombreux ayant formé les faisceaux. On ne tarda pas à être tout à fait renseigné. Tandis qu’un détachement de cavalerie partait au galop pour reconnaître ces troupes, un sous-officier du 2e hussards de Silésie, que les hussards du colonel Marbot venaient de faire prisonnier près de Lasne, fut amené à l’Empereur. Il était porteur d’une lettre de Bülow à Wellington, annonçant l’arrivée du IV" corps à Chapelle-Saint-Lambert. Ce hussard, qui parlait français, ne fit pas difficulté de conter tout ce qu’il savait. « Les troupes signalées, dit-il, sont l’avant-garde du général de Bülow. Toute notre armée a passé la nuit d’hier à Wavres. Nous n’avons pas vu de corps français, et nous supposons qu’ils ont marché sur Plancenoit. »

La présence d’un corps prussien à Chapelle-Saint-Lambert, qui eût terriblement surpris l’Empereur quelques heures plus tôt, alors qu’il traitait de « paroles en l’air » le propos rapporté par Jérôme sur la jonction projetée des deux armées alliées, ne l’étonna qu’à demi, car il avait reçu dans l’intervalle cette lettre de Grouchy : « Gembloux, six heures du matin. — Sire, tous mes rapports et renseignemens confirment que l’ennemi se retire sur Bruxelles pour s’y concentrer ou livrer bataille après s’être réuni à Wellington. Le premier et le second corps de l’armée de Blücher paraissent se diriger le premier sur Corbais et le deuxième sur Chaumont. Ils doivent être partis hier soir, à huit heures et demie, de Tourrines et avoir marché pendant toute la nuit ; heureusement qu’elle a été si mauvaise qu’ils n’auront pu faire beaucoup de chemin. Je pars à l’instant pour Sart-à-Walhain, d’où je me porterai à Corbais et à Wavres. » Cette dépêche était beaucoup moins rassurante que celle de la veille. Au lieu d’une retraite de deux corps prussiens en deux colonnes, l’une sur Wavres et l’autre sur Liège, Grouchy annonçait que ces deux colonnes marchaient concentriquement vers Bruxelles, dans le dessein probable de se réunir à Wellington. Il ne parlait plus