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économique qu’il avait si longtemps dénoncée et combattue. Douloureuse fatalité d’une vie politique, condamnée pour la seconde fois par sentiment du devoir à une apparente trahison ! La saison n’était plus aux scrupules exagérés. Lord Stanley résignait le pouvoir ; Gladstone le remplaça au département des colonies. Désormais son sort était indissolublement lié à celui de son chef. Il ne put lui prêter son aide dans les débats où lord George Bentinck et Benjamin Disraeli criblaient le grand transfuge des traits de leur indignation et de leur ironie. Il avait dû, en effet, abandonner le siège de Newark, que le duc de Newcastle entendait réserver à un protectionniste orthodoxe. Ce ne fut qu’en 1847 qu’il rentra à la Chambre : cette fois avec l’éminente dignité de représentant de l’Université d’Oxford. Le corps électoral académique, pour conservateur qu’il fût et protectionniste d’instinct, avait fait grâce à l’hérésie économique de Gladstone en faveur de son orthodoxie religieuse et de son impeccable anglicanisme. A trente-huit ans, après quinze ans de vie parlementaire, le nouveau député d’Oxford devait commencer une carrière toute nouvelle. Le parti tory venait de se couper en deux. Une haine implacable animait les protectionnistes, noyau du futur parti conservateur, contre Peel et ses amis. Ce grand homme d’Etat avait brisé lui-même l’instrument qu’il avait créé. Une fois de plus s’était vérifiée cette loi, dont nous avons naguère vu la réalisation dans la décomposition du parti libéral sous l’action du home rule. La petite bande des Peelistes, état-major sans soldats, n’avait plus de place bien marquée dans l’organisme constitutionnel. Pendant plus de dix ans, le jeu régulier du régime parlementaire allait être gêné par cet élément perturbateur. Peel vivant était une sorte d’arbitre, de juge du camp, d’autant plus puissant qu’il était hors concours et qu’exclu des rivalités d’ambition, il incarnait aux yeux du pays le bon sens impartial et l’équité désintéressée. Lui mort, le lien qui avait tenu groupés ses amis se relâcha et finit par se rompre. Chacun inclina du côté où l’attiraient ses secrètes préférences.

Ce ne fut point, toutefois, l’œuvre d’un jour. Les rancunes, les hésitations, les appréhensions furent lentes à vaincre. Si force était bien de faire une place aux plus distingués de ces officiers sans troupes dans des gouvernemens de coalition, produit naturel de cette ère de déséquilibre, on répugnait à les faire rentrer dans les cadres. Gladstone, lui, se croyait toujours conservateur. Les