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s’incendiait de part et d’autre. « Le Palais du gouvernement, écrivait notre consul à la Canée, le 24 février, est en flammes. Les équipages étrangers ont débarqué avec leurs pompes. On suppose que l’incendie est le fait de la populace musulmane, qui menaçait, depuis plusieurs jours, de brûler le sérail, si l’on ne continuait pas à lui distribuer des armes[1]. » Peu après, les gendarmes se mutinaient et tuaient leur propre colonel : on dut recourir aux matelots européens pour les contenir et les désarmer[2].

Mais déjà la Russie avait repris la proposition de l’Angleterre et, pour concilier les opinions divergentes, elle la formulait en ces termes : « La Crète ne pourra en aucun cas être annexée à la Grèce dans les circonstances présentes ; la Turquie ayant tardé à appliquer les réformes convenues, celles-ci ne répondent plus à la situation actuelle, et les puissances sont résolues, tout en maintenant l’intégrité de l’empire ottoman, de doter la Crète d’un régime autonome[3]. » Cette déclaration devait être notifiée simultanément à Athènes et à Constantinople. Toutes les puissances acquiescèrent à cette suggestion, non cependant sans difficultés et sans un échange d’idées qui se croisaient dans tous les sens. L’Angleterre entendait que les troupes turques seraient rappelées, et sans retard, avec les troupes et les navires grecs ; d’autres cabinets, celui de Berlin notamment, désiraient qu’en cas de refus du cabinet d’Athènes, on prît aussitôt des mesures coercitives contre les ports et les côtes du royaume hellénique. Mais, l’entente devenant chaque jour plus délicate et plus laborieuse, on ajourna toute résolution sur ces deux points, et l’on procéda à la communication qu’on était convenu de faire également à la Turquie et à la Grèce.

En l’accompagnant de réserves fort élastiques, qui devaient lui permettre de poser ultérieurement ses conditions, la Porte donna son assentiment a la résolution des puissances. À ce moment, elle prévoyait déjà que la rupture avec la Grèce éclaterait inévitablement sur leur frontière commune, et, confiante dans le résultat de la lutte, elle jugeait opportun et habile de ne pas mécontenter l’Europe. Le cabinet d’Athènes ne se montra pas aussi accommodant, ne voulant, ou plutôt ne pouvant renoncer aux espérances qu’il nourrissait et que partageait, avec plus de passion

  1. Livre Jaune, tome II. p. 105.
  2. Livre Jaune, tome II, p. 127.
  3. Livre Jaune, tome II, p. 100.