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de ses fonctions et il eut pour successeur Turkhan-Pacha, ancien ministre des Affaires étrangères.

Les choses n’en allèrent pas mieux ; l’hostilité entre les chrétiens et les musulmans prit, au contraire, un caractère plus aigu. Si ceux-ci se sentaient mieux soutenus et plus encouragés par Constantinople, ceux-là recevaient des secours des comités d’Athènes ; et le consul grec à la Canée secondait leur résistance, les excitait à la lutte[1].

Cependant les chrétiens s’organisaient pour la défense, ils annonçaient hautement leur intention de secouer l’autorité du sultan ; sauf les points occupés par les troupes turques, l’île entière était en état d’insurrection. La Grèce y prêtait la main ostensiblement, et déjà l’on prévoyait que le conflit se propagerait dans les provinces de la Turquie d’Europe. Plus intéressée que les autres puissances à conjurer une pareille éventualité, l’Autriche prit, en juin 1890, l’initiative d’une ouverture pour autoriser les ambassadeurs à se saisir de la question de Crète et pour en poursuivre la solution avec la Porte. Les puissances furent unanimes pour déférer à ce vœu ; la participation du cabinet de Berlin fut toutefois réservée et discrète ; son attitude a du reste été toujours hostile à la Grèce. « En ce qui concerne une action à exercer en Crète, prétendait-il, l’Allemagne, n’y ayant pas d’agent de carrière, ne peut que s’abstenir[2]. » Son représentant à Constantinople reçut l’ordre toutefois de se concerter avec ses collègues, et ces diplomates ouvrirent de nouvelles délibérations pour s’acquitter de la mission qui leur était confiée, pendant que les agens accrédités à Athènes adressaient, suivant les instructions qu’ils avaient reçues, d’énergiques représentations au cabinet grec. C’est ainsi que l’Europe ou le concert européen, ayant conscience des événemens prochains, intervint dans le débat pour résoudre pacifiquement les difficultés nées de la révolution crétoise.

Y a-t-elle réussi ? Voici comment M. Cambon, avec sa sagacité habituelle, apprécie les choses à ce moment. Après avoir rappelé les antécédens de l’affaire, il ajoute : « Abd-ul-Hamid, convaincu que l’Europe est divisée, impuissante, incapable de se mettre d’accord pour une action commune, se laissera peut-être entraîner à n’employer que la force... Mais l’insurrection renaîtra[3]. »

  1. Livre Jaune, p. 31.
  2. Livre Jaune, p. 115.
  3. Livre Jaune, p. 74. Dépêche du 7 juin.