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rencontra-t-elle, partout, une entière approbation, notamment à Saint-Pétersbourg et à Londres. A Constantinople, elle eut un retentissement saisissant. Dès le surlendemain, le sultan fit annoncer à notre ambassadeur, par son premier aide de camp, son homme de confiance, en le priant d’en informer sans retard M. Hanotaux, « que les mesures suivantes allaient être prises dans les plus brefs délais :

« Mise en liberté de tous les détenus contre lesquels il n’existe aucune charge (c’était avouer qu’on avait emprisonné sans mesure et sans raison) ;

« Publication du décret relatif à l’extension des réformes ;

« Révocation d’Aniz-Pacha ;

« Envoi d’instructions à tous les valis pour assurer la répression des désordres par les autorités[1]. »

Il est douloureux de devoir ajouter que, comme en toute autre circonstance, les actes ne répondirent pas aux paroles[2], et notre ministre des Affaires étrangères dut, plus d’une fois, le rappeler, en termes comminatoires, à l’ambassadeur de Turquie à Paris. Avant la fin de ce même mois de novembre, le 26, il télégraphiait à M. Cambon : « J’ai fait venir Munir-Bey. Je lui ai dit qu’en présence des engagemens formels du sultan, je ne pouvais me laisser leurrer par des promesses vaines, qu’en conséquence je vous donnais pour instructions de quitter Constantinople si vous ne receviez pas les satisfactions promises... » Aucune mesure durable et fructueuse ne fut prise cependant. Les séances du tribunal extraordinaire siégeant à Constantinople furent suspendues, grâce aux véhémentes insistances de notre ministre et de notre ambassadeur ; mais la proposition de lord Salisbury et les sommations de M. Hanotaux eurent uniquement pour effet d’inquiéter le sultan sans le déterminer à tenir ses engagemens.

Dans son discours, M. Hanotaux avait clairement énoncé les obligations qui incombaient, d’une part à l’Europe dans l’intérêt social et humanitaire, étroitement uni, en cette occasion, avec le

  1. N’était-ce pas reconnaître que jusqu’à ce moment il n’en avait pas été donné ?
  2. Les déclarations du sultan, communiquées à Paris selon son désir, par notre ambassadeur, sont du 5 novembre. Le 10 décembre suivant, M. Cambon écrivait à M. Hanotaux : « J’ai transmis à Votre Excellence les assurances maintes fois réitérées du sultan au sujet de la mise en liberté des détenus. Jusque présent, les prisons sont plus remplies que jamais ; elles reçoivent tous les jours de nouveaux détenus, arrêtés sous les inculpations les plus bizarres, et elles n’en rendent jamais. » Livre Jaune, p. 335.