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ailleurs : « J’ai fait, dit-il, des mœurs de mes compatriotes l’étude de toute ma vie. La seule particularité que j’aie notée chez eux, c’est qu’ils boivent de l’eau glacée. » On exagère à plaisir l’importance de ces traits caractéristiques. On imagine entre les races on ne sait quelles différences ethniques irréductibles, afin d’entretenir plus sûrement les haines, et de couvrir d’un manteau scientifique des mobiles qu’on aurait honte d’avouer. On range sous l’appellation commune de races latines des peuples qui n’ont peut-être pas dans les veines une goutte de sang latin. Et il est digne de remarque que le moment où cette fragile idée de la race retrouve un regain de faveur est justement celui où les races se mêlent, où les peuples se pénètrent, où s’accentue la tendance à l’uniformité. Il n’y a pas de race pure, et vraisemblablement il n’y en a jamais eu. Qu’importe d’ailleurs ? Et pense-t-on qu’il y ait sur cette petite terre plusieurs humanités ? Les différences ne viennent que du degré de culture et sont relatives au moment historique. Encore ne modifient-elles que le dehors, le mode de vie, les formes de langage, les conventions et les convenances. Sous cette mince couche, le fond se retrouve qui n’est ni septentrional, ni méridional, mais humain. La passion, celle du jeu, celle de l’amour ou de l’argent, ignore les degrés des latitudes, comme elle ignore ceux de la hiérarchie sociale. Elle possède celui dont elle a fait sa proie et sa chose, détruit en lui jusqu’aux sentimens qu’on appelle naturels, le rend étranger à toutes les influences venues du dehors, à ses propres intérêts, à toute raison de vivre, et le fait se consumer dans une agonie pareillement douloureuse, que ce soit sous le climat du Nord dont il ne sent pas la rudesse, ou sous des cieux dont il ne sait plus voir l’inutile beauté.


RENE DOUMIC.