Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu et de la Madone. » Comme si ce fût là une industrie exclusivement napolitaine. Paris n’avait-il pas hier sa « voyante, » elle aussi réputée pour la sincérité de sa dévotion ? Rebouteurs et magiciennes abondent dans notre cité sceptique, et on étonnerait bien des gens en leur apprenant où se recrute leur clientèle. Et dans les campagnes M. Homais aidé des instituteurs de M. Bourgeois a bien pu répandre l’évangile de la libre pensée, il n’a pas déshabitué les gens de la crédulité superstitieuse : ils continuent à se méfier du médecin, et pour avoir un diagnostic plus sûr, c’est chez la somnambule qu’ils portent les vêtemens de leurs malades. — Afin de compléter la revue des types de là-bas, et aussi pour se conformer à l’esthétique naturaliste, Mme Serao a tenu à nous présenter une intéressante figure de souteneur. Le « camorriste » napolitain porte les pantalons en cloches, le chapeau à bords étroits, la chaînette d’argent avec une corne de corail, les souliers vernis. Dans les duels entre camarades ou dans les rixes avec les gendarmes, il procède à coups de revolver. Je crois bien que nos camorristes ont une tenue moins élégante, et usent surtout du couteau et du coup de poing. Mais ces nuances n’atteignent que le costume et les usages ; la coiffure diffère sur nos boulevards extérieurs ou dans les quartiers de la vieille Naples : les âmes sont les mêmes.

Les âmes sont les mêmes ; telle est la conclusion qu’on pourrait tirer de ce livre qui a, autant que nul autre, la saveur du terroir et l’accent de sa province. On se sentait aux premières pages tout dépaysé, au milieu de cette foule bariolée, remuante et bruyante, dans cette bizarre atmosphère morale, qu’y font, en se mêlant, l’instinct de la paresse, le goût du plaisir, le luxe de l’imagination, la crédulité superstitieuse, la fièvre du jeu. On s’écriait : « Ah ! que cela est napolitain ! Comment peut-on être si napolitain ? » Nous nous sommes amusés à mettre en lumière les ressemblances qui se cachent sous ce vernis des mœurs locales. Transportez ce roman dans un autre cadre, le cadre seul aura changé, vous pourrez garder les personnages, les sentimens, le drame. C’est qu’en effet ce qui diffère d’un pays à un autre, c’est le décor, et d’un peuple à un autre c’est le costume ; et nous, frappés par ces différences, tout extérieures et superficielles, nous ne reconnaissons plus nos idées et nos passions pour peu qu’elles se déguisent et revêtent des oripeaux étrangers. Tourguenef prête à un de ses personnages cette boutade : « Nous n’avons su donner au monde que le samovar, et encore se peut-il qu’il ne soit pas de notre invention. » Et l’humoriste Mark Twain, fatigué de voir tant de consciencieux analystes occupés à peindre les Américains tels qu’ils sont et à les montrer tels qu’on n’est nulle part