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pas fallu apporter à l’art de leur conservation ! Il semble que, grâce à ces précautions, à cette épargne municipale qui atteignait les trois quarts ou la moitié de la consommation annuelle, les prix n’auraient dû subir ici que des variations minimes. Le résultat répondit pourtant assez mal aux efforts du Sénat strasbourgeois : l’hectolitre passe brusquement, au milieu du XVIIe siècle, de 6 à 34 francs, de 5 à 43 francs et, vers la fin, de 11 à 28 francs et de 4 à 16 francs.

Si le système des greniers officiels n’a pas eu des conséquences plus appréciables là où il était porté à une perfection relative, on peut augurer la faible influence qu’il dut avoir, pratiqué sur une échelle beaucoup moindre, comme à Rouen, ou par des achats occasionnels, comme ceux des villes de Nantes ou d’Angers, qui envoyèrent chercher plusieurs fois un renfort de blé jusqu’en Pologne. Ces provisions lointaines se trouvent souvent, lors de leur arrivée tardive, embarrasser leurs détenteurs. Les États de Charolais, pour écouler le blé qu’ils avaient fait venir lors d’une disette (1749), et qui leur est resté, défendent à qui que ce soit de vendre aucun grain dans tout le comté, jusqu’à épuisement complet du grenier provincial. C’est en général par perquisitions et réquisitions que les échevins se flattent d’imprimer au commerce un surcroît d’activité. Une bonne mesure, et bien populaire, consiste, lorsqu’on a découvert quelque malin spéculateur qui s’est muni de grains « pour les revendre à tel prix qu’il voudra », à le contraindre manu militari de les céder pour un taux déterminé Aussi faut-il voir comme le froment se cache.

Pour le punir de s’être caché, on le condamne, lorsque l’abondance est revenue, à demeurer en prison chez « ceux qui ont fait des amas. » Défense à ces accapareurs « d’amener leurs grains sur le marché jusqu’à nouvel ordre, avec injonction de rendre compte de la quantité dont ils sont chargés. » La valeur marchande des céréales a pu toutefois se ressentir de la sollicitude des municipalités lorsque, pour rétablir l’ordre, elles distribuaient à un peuple en fureur quelques centaines de quintaux au-dessous du cours ; ou quand, afin d’assurer la subsistance du pauvre, elles s’imposaient le sacrifice d’acheter des grains pour les revendre à perte. Lyon importe du blé de Barbarie (1770) et livre aux boulangers, pour 34 francs, ce qui lui en coûte 54. Le système laisse d’ailleurs à désirer : il arrive que, malgré la surveillance la mieux combinée, des citoyens indélicats absorbent