Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douleur du père, et, si le Roi résiste, on dira qu’il a sacrifié son frère à son favori.

— Tu me conseilles donc d’abdiquer ?

— Non, Sire ; que le Roi résiste, s’il le peut faire avec succès. Mais le peut-il ? La majorité n’est plus avec moi, et, quoique prêt à de nouveaux efforts pour la ramener, je n’ose espérer d’y parvenir.

Le Roi était visiblement ébranlé. Il se rappelait que son frère lui avait dit qu’il ne s’agissait pas de sacrifier un système, mais une personne et que, Decazes parti, la Droite soutiendrait le ministère. Il répéta ces propos à son ministre :

— Les loups ne demandent au berger que le sacrifice de ses chiens, fit-il avec amertume.

— D’un seul de ses chiens, objecta Decazes ; les six autres seront conservés.

— Eh ! tu sais bien, s’écria le Roi, que, toi de moins, le berger n’aura plus de chiens pour le garder.

Devant la constatation d’une position sans issue, Decazes en revint au parti d’appeler le duc de Richelieu à la présidence du Conseil. Mais le Roi, qu’avaient blessé les refus antérieurs du Duc, ne voulait pas s’exposer à en subir un nouveau. Que Decazes, s’il le voulait, fît les premières démarches ; quant à lui, il n’interviendrait pas. Cependant, à la demande du président du Conseil, il consentit à le pourvoir d’une lettre qui, mise dès le lendemain sous les yeux de Richelieu, lui marquerait son désir ; il l’écrivit séance tenante afin que Decazes pût l’emporter :

« J’ai reçu votre lettre, mon cher Comte ; j’approuve, je ne crains pas de le dire, j’admire les sentimens que vous m’y exprimez, et je vous autorise à faire toutes les démarches que vous jugerez utiles pour déterminer le duc de Richelieu à rentrer au ministère. Mais quoique entièrement convaincu de son zèle pour l’Etat et de son attachement à ma personne, vous devez sentir qu’ayant reçu de lui, et de vive voix et par écrit, plus d’un refus à cet égard, je ne dois pas m’exposer à en recevoir un nouveau. Vous connaissez, mon cher Comte, toute mon amitié pour vous. »

Lorsque, après ce long entretien, le Roi se sépara de son ministre, ils n’avaient rien décidé. Le lendemain, dès le matin, il lui expédiait ce billet révélateur de la détresse de son âme : « Ma nuit, mon cher fils, a été bonne, mon réveil affreux. Et toi, mon