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officiers à demi-solde qui s’étaient réunis en grand nombre rue des Saints-Pères et rue des Augustins. Ils devaient beaucoup à M. Decazes et voulaient le défendre contre les ultras. Toutes ces précautions furent d’ailleurs inutiles. On avait consigné les gardes dans leur caserne ; le mouvement ne put avoir lieu. »


III

Les attaques et les menaces dont Decazes était l’objet avaient dans le cœur du Roi de douloureux échos. Néanmoins, quoique déconcerté par l’orage qui venait de fondre sur lui, il était encore bien résolu, le 16 février, à ne pas se séparer de son ministre. En se levant, il lui traçait la conduite qu’il souhaitait lui voir tenir en face de ses accusateurs :

« Il est encore de trop bonne heure, mon cher fils, pour avoir de tes nouvelles ; mais voici toujours quelques réflexions. Hier, je me contentais de la manière dont la Chambre avait repoussé l’odieuse motion de Clausel de Coussergues. Aujourd’hui, les choses sont changées. Ce n’est plus une accusation absurde qu’il porte contre toi ; c’en est une qui n’est assurément pas mieux fondée, mais qui est constitutionnelle. Peux-tu garder le silence ? Je ne le pense pas. Il me semble, au premier aperçu, que tu dois relever le gant, et voici comme j’entends que tu pourrais le faire. Remercier la Chambre d’avoir repoussé par son improbation la calomnie aussi atroce qu’insensée portée contre toi comme particulier, mais la prier de ne pas agir de même dans l’attaque qu’on te fait comme ministre, et, au contraire, de permettre au membre qui a déposé sur le bureau la proposition de la développer. Je n’ai pas besoin de t’indiquer ce que tu peux ajouter ; le champ est fertile et le moissonneur bon… Je reçois le portefeuille. Je persiste dans ce que j’ai écrit en te conjurant de consulter des gens, non qui t’aiment plus tendrement, qui soient plus attachés à ta gloire que moi, mais qui s’entendent mieux à ce qu’elle peut exiger… Tu ne me dis rien de ta santé. Hélas ! quel jugement en porterai-je ? Je t’aime. »

Cette lettre était écrite à huit heures du matin et envoyée aussitôt. Mais Decazes ne se hâta pas d’y répondre. Repoussée la veille par la Chambre des députés, la motion Clausel de Coussergues avait déjà perdu beaucoup de son intérêt, grâce surtout à des questions plus pressantes. Il s’agissait maintenant de tout