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remarquer combien les femmes de ce temps-là savaient s’élever à la hauteur des circonstances. Ce n’était pas particulier d’ailleurs au Canada, mais aux colonies de l’Amérique du Nord en général.

J’ai parlé, je crois, quelque part, des fresques du Woman’s building à l’Exposition de Chicago, qui montraient les filles des Pèlerins, récemment débarquées, aux prises avec de rudes et grossières besognes, tout en chantant des psaumes et en faisant lire la Bible aux enfans. Les Ursulines ont dans leur cloître l’équivalent de cette composition, un tableau ancien qui représente la forêt. Au milieu de nombreux personnages secondaires, gentilshommes en habita la française, missionnaires, sauvages et sauvagesses, Mme de la Peltrie est en conciliabule avec un chef indien, tandis qu’une femme au type énergique, la mère Marie de l’Incarnation, explique non pas la Bible, mais le catéchisme aux petites néophytes, sous le grand frêne resté debout jusqu’en 1867. Cette forêt, à peine défrichée, n’est autre que l’emplacement actuel du superbe monastère des Ursulines. Parmi les bâtimens qui le composent, environnés de grandes cours et de vastes jardins, figure encore la maison de Mme de la Peltrie. La communauté naissante y chercha refuge vers 1650, après un de ces incendies terribles qui jouent dans l’histoire de Québec un rôle si fréquent que la ville semble renaître presque périodiquement de ses cendres. A quoi donc les attribuer ? A l’agglomération des maisons, aux piles énormes de bois de chauffage qui les entourent, aux grands feux rendus nécessaires par un climat glacial. Une fois allumés, ils ne s’éteignaient guère que d’eux-mêmes, vu l’absence de pompes, la colonie n’étant pas assez riche pour s’en procurer. Les débris de la tribu des Hurons, qui dressaient leurs tentes à l’ombre protectrice des deux monastères voisins, l’Hôtel-Dieu et les Ursulines, vinrent alors trouver ces dernières si cruellement éprouvées, leur apportant deux colliers de grains de porcelaine qui représentaient pour eux tous les biens de ce monde puisqu’ils ne possédaient plus autre chose, leur offrant ces trésors chimériques afin d’obtenir que les filles de la prière continuassent quand même à instruire les petites Huronnes. Et en effet les bonnes Ursulines se dévouèrent, malgré toutes les vicissitudes, tant aux petites Huronnes qu’aux petites Françaises. Plus tard, quand les indigènes se furent éloignés des centres de civilisation, le séminaire sauvage, comme on l’appelait, se ferma, mais le pensionnat français ne fit que grandir. Les religieuses, au moment de la conquête anglaise,