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tirer par les meurtrières, se multipliant sur différens points, tant et si bien que les Iroquois ne soupçonnèrent pas la faiblesse de la garnison. Ils s’en tinrent à massacrer les malheureux qui travaillaient dehors. Sur ces entrefaites une barque toucha au rivage ; c’était un colon et sa famille qui venaient se mettre à l’abri des remparts ; nul n’osait aller à leur rencontre : « — J’irai donc seule », déclara Magdeleine. — Les Iroquois, qui n’étaient pas loin, la virent franchir le porche ; ils crurent que c’était une ruse pour les attirer et faire contre eux une sortie. Sa hardiesse sauva tout. Le hasard lui ayant ainsi envoyé quelques bras de plus, elle fit passer dans le blockhaus, qui se rattachait au fort par un chemin couvert, la partie inutile de la garnison. La nuit, en dépit du vent et de la neige, les cris de : « Tout va bien ! » furent échangés sans relâche entre le fort et le blockhaus, indiquant que l’on faisait bonne garde.

Une semaine se passa sur le qui-vive, l’ennemi rôdant alentour sans se décider à l’attaque. À la fin arriva un lieutenant de M. de Callières, le gouverneur, avec quarante hommes. Lorsqu’ils furent signalés, Magdeleine, épuisée par les veilles, se reposait, le front sur une table, son fusil dans les bras. Elle dit au lieutenant : — Monsieur, je vous rends les armes.

Il répondit galamment : — Elles sont en bonnes mains, mademoiselle.

Et, de fait, quand il eut inspecté le fort, il trouva tout en ordre, une sentinelle sur chaque bastion.

Mlle de Verchères, qui devint depuis Mme de la Naudière, puis Mme de la Perrade, n’était pas la première de sa famille qui se fût signalée ainsi, sa mère ayant auparavant tenu tête aux sauvages quarante-huit heures de suite. Et au siège de Louisbourg (1758), ne vit-on pas Mme de Drucour, femme du commandant de la place, demeurer sur le rempart et tirer elle-même le canon, pour donner l’exemple ?

Pendant la période lamentable de 1682 à 1689, qui se termina par « l’année du massacre », l’horrible massacre de Lachine, où les cruautés diaboliques des Iroquois se déchaînèrent ; où deux cents personnes périrent brûlées vives ; où, jusqu’aux portes de Montréal, les paroisses furent ravagées, les enfans mêmes égorgés avec des raffinemens de férocité inouïe, pendant cette période d’indicible misère, les filles des plus nobles familles aidaient leurs parens ruinés à couper le blé, à conduire la charrue. Il faut