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alliances de l’Italie, à en arrondir les angles et comme à en émousser le tranchant ; qui ait eu, au même degré, la mesure et la suite dans les desseins ; qui ait plus courageusement remis au point des ambitions prématurées ; et, du moins au dehors, son arrivée aux affaires eût apaisé toutes les inquiétudes, sans en faire naître aucune. — M. Sonnino, il n’y a pas dix ans, menait campagne contre M. Crispi, avec beaucoup d’entrain, de mordant et de verve. Encore qu’il eût déjà atteint la quarantaine, ce n’était alors qu’un jeune homme qui donnait de grandes espérances. Dans l’entre-temps, il a été ministre, sous le même M. Crispi ; et les espérances qu’il faisait concevoir, on ne saurait prétendre qu’il les ait démenties. Le compagnon de ses études, son parent et ami, M. Franchetti, nous a expliqué comment il est venu, lui, Franchetti, du « ministérialisme à l’opposition » : le baron Sonnino-Sidney ne nous a pas dit pourquoi il avait fait le chemin en sens contraire et comment il était allé « de l’opposition au ministérialisme » ; mais c’est une explication que, sans doute, il ne nous devait pas ; et il suffit qu’il ait été, comme il l’a été, un financier expert et un politique avisé pour que l’on ne s’étonne pas de voir le roi et l’Italie compter sur lui.

Le général Pelloux, qui l’emporte, est un général, mais un général italien, en qui, comme en beaucoup de ses camarades, il y a l’étoffe d’un diplomate. Le ministère le moins militaire qui pût être fait en ce moment à Rome, on peut être sûr que c’est lui qui l’a fait. Bien qu’il ait pris pour lui le portefeuille de l’Intérieur, laissé la Guerre au général di San Marzano, et mis aux Affaires étrangères l’amiral Canevaro, — en souvenir, probablement, de la Crète et comme gage au concert européen, — il a par compensation, ôté les Travaux publics au général Afan de Rivera, et il n’y aura toujours dans le cabinet que trois officiers généraux, de terre ou de mer ; quatre, y compris le ministre de la Marine. Mais tant de ministres militaires ne font pas un ministère réellement et pleinement militaire. Et la raison en est, sans la chercher plus loin, que justement parce qu’il est général, plus que n’importe qui, le général Pelloux doit avoir soin de ne pas imprimer à son cabinet une allure trop énergique ; en retour, le seul fait de porter le sabre le dispensera sans doute de le tirer. Il pourra, mieux qu’un ministre civil, supprimer l’état de siège et se passer des lois d’exception présentées par le marquis di Rudini, de lois draconiennes sur les associations, la presse et le domicile forcé. Quant aux projets de réformes économiques, s’il est sage, il les maintiendra. Mater l’émeute est bien ; se débarrasser des meneurs en les frappant de plusieurs