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On a proposé d’en revenir à la nature, et pour cela de rendre obligatoire l’usage de l’heure locale. Si, disait-on, il faut en chaque lieu une heure légale, et une seule, prenez celle-là ; supprimez les autres. C’est le conseil que donnait, entre autres, l’amiral P. Serre. Que les ingénieurs de chemins de fer, pour établir les graphiques de marche, pour organiser et régler le service, aient recours à l’heure unique ; il leur est loisible. Que les mécaniciens aient en poche cette heure secrète et des itinéraires réglés en conséquence ; nous n’avons pas à le savoir. Mais ce qu’il faut, c’est que partout les horloges marquent l’heure locale et que les horaires, comment qu’ils aient été primitivement calculés, soient traduits en heures vulgaires.

L’expérience a été faite. L’Allemagne a pratiqué jusqu’en 4892 le système de l’heure locale absolue, avec la rigueur qui lui est propre. Le peuple prussien devait ignorer qu’il y eût une question de l’heure. Où qu’il tournât les yeux, vers le clocher, vers l’hôtel de. ville, ou vers la gare, il n’apercevait qu’un cadran immuable où des aiguilles disciplinées observaient le même alignement. Sur les voies ferrées, le mécanicien transportait un chronomètre- réglé sur Berlin. En cours de route, il avait la ressource de le contrôler. Il n’avait qu’à jeter les yeux sur le cadran intérieur des gares, où une troisième aiguille, distinguée par sa couleur rouge, énigmatique pour le public, mais claire pour lui, promenait sur le cadran l’heure normale de Berlin.

Il a fallu céder enfin à l’évidence. Devant les inconvéniens, les confusions, les dangers du système, en présence de l’extension démesurée du mouvement de transit, l’Allemagne a dû substituer l’heure normale unique à l’heure locale diverse. Ce que l’Angleterre avait fait dès 1848 ; la Suède en 1879 ; les États-Unis en 1883 ; le Japon en 1888 ; la France en 1891, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, le Danemarck, l’Autriche-Hongrie, l’ont fait entre 1892 et 1894 : mais sans s’arrêter comme nous à l’unification intérieure, tous ces pays sont arrivés d’un trait au système des fuseaux horaires, c’est-à-dire à la dernière étape de la réforme de l’heure.


A. DASTRE.