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plus ou moins avantageuse, suivant que ce Domaine Privé, qui s’accroît chaque Jour, sera plus ou moins compris dans l’acte de cession. Le Congo de 1895, malgré les bruits qui commençaient à circuler sur le Domaine Privé, parut à M. de Mérode un placement avantageux pour la Belgique ; mais il fallait se hâter et se rappeler qu’aux derniers venus, il ne reste souvent que des os à ronger : tarde venientibus ossa. Faiblement soutenu par le roi, en désaccord avec les Chambres, M. de Mérode, pris entre son loyalisme et son patriotisme, donna sa démission, et son projet de loi fut retiré. Malgré ce léger nuage, la popularité du Congo est allée en grandissant et la Belgique se montre aujourd’hui impatiente de devenir la mère patrie de cette belle colonie qui commence à rendre généreusement les capitaux qu’elle a absorbés. Le roi a refait sa fortune personnelle et l’aura bientôt doublée ; les courtisans qui, pour lui être agréables, avaient placé des fonds dans les entreprises africaines réalisent des bénéfices considérables. Les actions du chemin de fer Matadi-Leopoldville, émises à 500 francs en 1889, tombées à 250 en 1893, valent aujourd’hui près de 1200 francs, et nul ne peut dire quel prix atteindra cette valeur le jour où la ligne arrivée à Léopoldville aura à écouler toutes les marchandises du bassin central concentrées au Stanley-Pool.

Cette voie ferrée résout en effet le problème économique que je posais en commençant ; elle supprime cet obstacle de la région des chutes qui empêchait l’Afrique intérieure d’entrer en activité commerciale. Dès à présent, les centaines de factoreries belges établies dans l’Etat Indépendant travaillent fiévreusement ; l’ivoire, le caoutchouc, le copal, l’huile de palme s’entassent dans les comptoirs ; une flotte de steamers va amener tous ces produits à Léopoldville, d’où ils seront dirigés par la voie ferrée jusqu’à Matadi et de là embarqués pour Anvers. Matadi, enfoncé dans l’estuaire du Congo comme Anvers dans l’embouchure de l’Escaut, deviendra le grand port de l’Afrique centrale. Léopoldville, Matadi, Anvers seront les trois stations de cette nouvelle artère commerciale du monde. La grande œuvre du chemin de fer congolais, qui rencontrait, il y a quatre ans encore, tant de sceptiques et que nous nous sommes trop longtemps obstinés, nous Français, à regarder comme une chimère est aujourd’hui réalisée : le dernier rail a été boulonné le 10 mars, et l’inauguration officielle de la ligne a été fixée au 1er juillet. La riche Compagnie du