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reçoivent de lui une direction unique. Cette direction est confiée, — chose singulière, — à un officier d’ordonnance du roi, au capitaine, aujourd’hui major Thys. C’est une personnalité remarquable que celle de cet officier, la cheville ouvrière des entreprises belges au Congo, explorateur intrépide, confident du roi, merveilleux orateur, financier consommé, habile ingénieur, allant inspecter les établissemens du Congo et revenant présider les conseils d’administration, ou faire une campagne de conférences populaires en faveur de l’œuvre africaine.

Le roi, presque complètement ruiné, taxa tous les siens : les d’Orléans et les Cobourg apportèrent sans enthousiasme leur concours financier à l’œuvre africaine ; la haute société belge fut l’objet de sollicitations pressantes ; souscrire des actions du Congo devint pour les courtisans le meilleur moyen d’être agréables au roi. Hélas ! il y eut aussi des ressources considérables demandées à des combinaisons douteuses. Cet État Indépendant, né de l’Association Internationale Africaine, qui avait comme objectif l’abolition de l’esclavage, en arriva même à accorder aux compagnies congolaises, moyennant un droit de participation à tous les bénéfices, la faculté de libérer des esclaves. Faut-il enlever une grande illusion aux philanthropes et leur dire qu’entre acheter et racheter des noirs, il n’y a souvent en Afrique que la différence d’une r ? Mais le Congo dévorait des millions ; les frais de premier établissement d’une pareille entreprise étaient énormes et dépassaient toutes les prévisions. L’État Indépendant dut recourir à un emprunt à lots de 150 millions. Or, une difficulté se présentait : les bons ne pouvaient pas, comme bien l’on pense, être émis au centre de l’Afrique parmi les sujets noirs de S. M. Léopold II. On s’adressa aux Chambres belges, qui permirent à l’État Indépendant d’émettre son emprunt en Belgique ; le gouvernement français, également sollicité, fut assez imprévoyant pour accorder à cette valeur l’autorisation de cote, sans réclamer en retour de l’État Indépendant le moindre avantage. Il faut ajouter que l’emprunt à lots bénéficia chez nous dans une large mesure de l’étiquette Bons du Congo, que lui avaient donnée à dessein les financiers belges. Les petites bourses, qui sont toujours les plus patriotiques, apportèrent avec empressement leurs économies à l’emprunt de l’État Indépendant, croyant favoriser une entreprise française.

En même temps que la campagne de souscriptions, il se