Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/942

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vêtemens : et quand la petite fille l’aperçut, en face d’elle, debout sur un rocher dans son costume rouge, elle fit d’abord un mouvement en arrière. Mais aussitôt, s’enhardissant, elle s’avança de nouveau au seuil de la grotte et dit, d’une voix si pure et si claire qu’elle dominait le bruit terrible des eaux : « — Créature surnaturelle, qui donc es-tu ? — Je ne suis qu’un homme, répondit Osberne, riant de la méprise ; et encore suis-je si jeune qu’on m’appelle un petit garçon, ou un gamin, ou un moutard. Mais toi, qui es-tu ? — Non, non, cria la petite fille, nous sommes trop loin l’un de l’autre pour bien nous entendre, et ce bruit des eaux achève de nous assourdir. Grimpe jusqu’au sommet de la colline, de ton côté, et je vais en faire autant de mon côté ! » Sur quoi elle lui tourna le dos, et, s’accrochant aux saillies et aux fentes, grimpa rapidement par-dessus le mur.


Et, Osberne avait beau être un garçon, il tremblait et son cœur battait dans sa poitrine, au spectacle de cette ascension si pleine de danger : il ne quitta point des yeux la petite créature, qu’elle n’eût enfin pris pied sur l’herbe de la rive ; alors seulement il courut, lui aussi, jusqu’au sommet de la Colline Coupée. Arrivé là, il ne dit rien, car il avait trop à faire de considérer la petite fille, debout sur l’autre sommet : et elle non plus ne disait rien, la course trop rapide l’ayant tout essoufflée. Mais enfin elle dit : « Nous voici maintenant aussi près l’un de l’autre que nous pouvons l’être aujourd’hui et pendant bien des jours à venir, peut-être pendant notre vie entière : donc, causons ! » Osberne, cependant, continuait à l’examiner en silence, de sorte qu’elle dit : « Je m’étonne que tu ne veuilles plus me parler, car ton rire, tout à l’heure, était comme la voix d’un cher oiseau, et ta voix était plus belle encore, si haute, et si ferme ! » Alors Osberne rit, et dit : « Eh bien ! je vais parler. Dis-moi qui tu es. Es-tu une petite fée ? Car tes formes sont trop belles pour que je puisse te croire de la race des nains. » Et à son tour elle éclata de rire, en battant des mains, puis elle dit : « Ce n’est point de ta question que je ris, mais du bonheur d’entendre encore ta voix. Non, non, je ne suis pas de la race des fées, mais de celle des enfans des hommes. — De la même race je suis, reprit Osberne. Mon père est mort, aussi ma mère, et je vis à la Bergerie, là-bas tout près de l’eau, avec mes deux grands parens. — Sont-ils bons pour toi ? demandât-elle. — C’est à moi qu’il convient d’être bon pour eux. — Ah ! dit-elle alors, comme tu es beau ! J’ai vu bien des hommes, les uns âgés, d’autres jeunes, et quelques-uns de ton âge, mais je n’ai vu personne qui fût de moitié aussi beau. Voilà pourquoi je t’ai pris pour un génie de la terre. — Et moi, à te voir si petite et si belle, je t’ai prise pour une fée. Mais dis-moi, quel âge as-tu ? — Quand mai sera presque fini, répondit-elle, j’aurai treize ans. — Eh bien ! nous sommes à peu près du même âge, car j’ai eu treize ans aux premiers jours d’avril. Mais pourquoi ne me dis-tu pas où tu demeures, et le reste ? — Je demeure sur une colline, tout proche d’ici. J’ai perdu, comme toi, mon père et ma mère, et maintenant je vis avec mes deux tantes. —