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coup de force, comme celui de Kiao-Tchau, n’a d’autre but que de servir de préface à des expéditions d’un autre genre : négocians et ingénieurs sont tout prêts à suivre les marins de débarquement ; et ceux-ci protégeront les premiers, qui vont se mettre à l’œuvre sans perdre un instant. Aucun effort n’est épargné pour établir dans le monde une sorte de pangermanisme. Si nous ne voyons pas encore de l’autre côté du Rhin d’organisation comparable à celle de notre vaillante Alliance française, nous y lisions l’autre jour, à la quatrième page des journaux, un appel à des souscriptions en faveur d’une école allemande au Transvaal, réclamée par la colonie de Johannesburg : « Dans tous les territoires de la patrie allemande, dit cet appel, grandit et domine l’idée que le maintien et le développement du sentiment allemand à l’étranger est devenu un devoir patriotique : cela est d’une importance capitale pour les intérêts nationaux et économiques du pays. »

Les préoccupations commerciales jouent un rôle décisif dans la politique allemande. Un des économistes qui se sont fait remarquer au cours des dernières années par leurs études, M. de Schulze-Gaevernitz, terminait en mai 1898 un article, paru dans la Nation, par une prière à la diplomatie de son pays de s’imprégner de l’esprit commercial, — prière qui paraît superflue lorsqu’on voit, de tous côtés, les ministres et les consuls se mettre au service de leurs compatriotes en quête d’affaires. « En réalité, écrivait l’auteur, toute notre politique étrangère devrait être une politique commerciale. Mais si nous voulons cela, il faut fournir à nos ambassadeurs l’arme sans laquelle ils ne seront que de timides quémandeurs : une flotte puissante. »

La flotte de guerre ! Voilà le delenda Carthago que répète en ce moment une partie de l’Allemagne, qui a vu son commerce grandir depuis quinze ans de 30 pour 100, alors que celui de l’ensemble du monde n’augmentait, durant la même période, que de 8 pour 100. En 1872, elle ne vendait encore à l’étranger que pour 2 975 millions de francs ; en 1895, pour 4 144 millions. Et encore faut-il tenir compte, en citant des chiffres empruntés à la statistique allemande, du fait qu’elle accuse pour beaucoup de pays des totaux d’exportations inférieurs à ceux qu’indiquent les douanes de ces mêmes pays comme entrées de marchandises allemandes. Les exportations générales françaises, comparées à ces deux dates, sont de 3 760 et 3 376 millions. Le tonnage de la