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« Il n’avait très certainement pas en vue l’unité nationale de l’Italie ou de l’Allemagne. Au contraire, l’une lui paraissait incommode, l’autre lui paraissait plutôt dangereuse. Mais il croyait en protégeant d’une manière efficace le petit Piémont et la Prusse dont on faisait trop peu de cas depuis 1850, qu’il pourrait substituer son influence à celle de l’Autriche et développer bien-être et prospérité parmi les autres nations de l’Europe[1]. »

On n’affranchit point les gens qui ne s’y prêtent pas. La bonne volonté de l’Empereur n’aurait su comment devenir effective si l’Italie ne la justifiait, ne la secondait par ses propres efforts, surtout si elle ne mettait à la tête de ses affaires un homme en qui l’on se pût fier, avec qui l’on ne craignît pas de s’engager dans de hasardeuses combinaisons. Victor-Emmanuel avait déjà prouvé qu’on devait compter sur son ambition, sur son énergie et sur sa perspicacité, mais il n’était qu’un roi constitutionnel. Tant qu’il n’aurait pas à ses côtés un ministre digne de lui, son supérieur ou au moins son égal, il n’était pas permis d’accorder à l’Italie plus que des vœux platoniques. D’Azeglio avait trouvé le Piémont blessé, étendu sur le champ de bataille, il le remit debout et l’y maintint en une belle dignité ; mais il ne s’agissait plus maintenant de se tenir debout, même majestueusement, il fallait marcher, courir, avec des jambes alertes, et d’Azeglio fatigué, découragé, ne les avait plus. La destinée propice à ce beau pays, berceau de l’art, de la politique, du droit, de la civilisation, suscita Cavour en même temps que Napoléon III. L’avènement de l’un et de l’autre à l’activité officielle avait été contemporaine ; leur ascension à l’influence souveraine se produisit presque le même jour. L’Empire était rétabli le 7 novembre 1852 ; le 4 novembre, Cavour devenait enfin le premier ministre de Victor-Emmanuel.

Victor-Emmanuel avait trouvé le ministère de l’action. Mais il lui restait à trouver les moyens de cette action. Thiers, de passage au Piémont dans ce temps-là, écrivait à l’une de ses amies lombardes : « J’ai vu un pays sage, un gouvernement excellent et une armée admirable. Le Piémont, s’il continue à se bien conduire et si la France ne l’entraîne pas en se jetant elle-même dans une carrière de folles aventures, sera un jour le fondement

  1. Sybel, t. II, p. 231. J’aime à laisser un Allemand reconnaître le désintéressement de l’Empereur. Sur l’Allemagne, ses véritables vues sont celles exprimées par son oncle dans le Précis des guerres de Turenne, chap. IV, 8e observation.