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et la perdrix : « Dans de telles occasions, nous revenions trop tard pour le dîner ; on nous en servait un exprès, pour lequel nous ne faisions d’autre toilette que de changer de linge ; ce n’était pas ces soirs-là que le champagne de la duchesse avait le moins de bouquet. L’homme qui, le cas échéant, ne sait boire un peu trop, ne vaut pas la corde pour le pendre ; mais prenez garde, revenez-y trop souvent, la fleur du plaisir se fane, et vous n’êtes plus qu’un de nos chasseurs de renards d’autrefois. »

Il avait tous les goûts, il cueillait la fleur de tous les plaisirs, il aimait les arts, la musique italienne, le théâtre, la comédie française, Molé et Mlle Contat, « qui joignait l’aisance, la grâce, le port, la beauté à l’esprit et à l’âme ». En 1787, il visita à Charenton la ferme-modèle de la Société royale d’agriculture, laquelle ne répondit point à son attente. Il se consola de sa déception en allant entendre la Pénélope de Piccini, où Mlle Saint-Huberti se surpassa, et il écrivait : « Vu le soir un champ cultivé avec beaucoup plus de succès. »

Il est fort discret sur ses aventures amoureuses, sur ses bonnes fortunes ; mais il confesse que les femmes lui prenaient facilement les yeux et le cœur : « Soupé chez le marquis d’Ecougal, à la Fresnaye. Si ces marquis de France n’ont pas de beaux produits en blé et en navets à me montrer, ils en ont de magnifiques d’une autre nature, de belles et élégantes filles, portraits charmans d’une agréable mère ; rien qu’à la première rougeur, je déclarai la famille tout aimable. » Il garde un bon souvenir de Saint-Jean-de-Maurienne, siège épiscopal, parce qu’il y a rencontré quelque chose de mieux qu’un évêque, la plus jolie femme qu’il ait vue en Savoie. Il fait cas des jolies paysannes : « La fleur de la santé sur les joues d’une fille de campagne convenablement habillée n’est pas la moindre beauté d’un paysage. »

Il ne se piquait point d’austérité ; dans l’occasion, cet agronome professait une morale assez relâchée. Il a vu à Toulouse un portrait de Mme Du Barry qui passait pour ressemblant : « Si vraiment il l’est, on pardonne les folies faites par un roi pour l’écrin d’une telle beauté. » Il visitera plus tard le pavillon que la comtesse s’était fait bâtir à Luciennes : « Il y a une table exquise en porcelaine de Sèvres ; j’ai oublié le nombre de louis qu’elle coûte. Les Français à qui j’ai parlé de Luciennes se sont récriés contre les maîtresses et les extravagances qu’on fait pour elles ; à mon sens, ils en parlaient avec plus de fougue que de raison. Qui, en conscience, refuserait à son souverain le plaisir d’une maîtresse, pourvu que le jouet ne devienne pas une affaire d’État ? Mais le grand Frédéric avait-il une maîtresse ? Lui faisait-il