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quoi consistent « les vérités d’évidence », à quoi on reconnaît le groupe privilégié « des hommes qui savent », et d’où ils ont reçu leur « mission. » Admettons, jusqu’à plus ample informé, qu’Alexandre Dumas fils fût de ce petit nombre des élus ; ne contestons pas la réalité de sa « mission », et tâchons simplement d’analyser les vérités diverses, et parfois contradictoires, qu’il nous a révélées au nom de sa « conscience ».

Que la société repose sur la famille, ce n’est pas nous qui y contredirons, encore que, après tout, renonciation d’un tel dogme ne porte aucunement en soi les caractères de l’incontestable certitude. Le fait a été nié souvent, et depuis longtemps, par de très grands esprits ; il continue à l’être, plus ou moins catégoriquement, par diverses sectes politiques ; le maître de l’Etrangère en personne, bien qu’il ait toujours professé une irréconciliable opposition au socialisme, s’est pourtant déjugé une fois, et, dans un article de ses dernières années, il n’a pas hésité à nous prédire la substitution de la famille humanitaire à la famille domestique. Et puis, le mot famille fût-il pris sans épithète, dans son acception générale et coutumière, est-il absolument juste de laisser entendre que les grands organismes collectifs s’appuient sur cette base unique ? De quelque respect que l’on entoure le principe familial, ira-t-on jusqu’à affirmer qu’il soit le seul respectable et nécessaire ? N’en existe-t-il point d’autres ? Ceux-ci n’ont-ils donc qu’une valeur négligeable ? Et de quel droit avantager celui-là, surtout quand on considère combien le moraliste dont nous étudions l’œuvre le rétrécit et l’abaisse, en le limitant à l’union de l’homme et de la femme ?

Si, en effet, la famille n’est pas ce qu’elle a été dans l’antiquité et ce qu’elle fut chez nous jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, un groupement continu établi sur la communauté du nom, sur des traditions ancestrales, sur les droits de puissance paternelle, sur l’héritage, sur le droit d’aînesse même ; si le mariage, au lieu de demeurer un de ses élémens constitutifs, devient son seul élément essentiel, elle n’apparaît plus que comme un accident momentané, issu d’un contrat que la mort fait forcément éphémère. Si, d’autre part, ce contrat n’a pas pour principale origine un devoir civique ou religieux, s’il ne vise pas d’abord à garantir la perpétuité de la maison, de la patrie, de la race et de l’espèce[1] ;

  1. C’est bien ainsi que l’envisageait l’Église elle-même. Dans la Somme, saint Thomas n’hésite pas à proclamer que « ce qu’il y a de plus essentiel dans le mariage, ce sont les enfans ou le désir d’en avoir ; vient ensuite la fidélité, et enfin le sacrement. »