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production de leur œuvre, et surtout marque, en quelque sorte, un tournant de leur existence intellectuelle : c’est un peu, pour le cerveau, « ce milieu du chemin de la vie, » dont a parlé Dante. Et Alexandre Dumas fils, s’il obéissait, en 1864, à un mouvement de dépit littéraire, n’obéissait sans doute pas moins aux nécessités qu’entraînait l’évolution logique de son esprit. L’heure était venue de faire pleinement éclore les germes latens, encore obscurs et à peine visibles au fond de sa pensée ; il se cherchait, il hésitait, et son hésitation dura plus de six années.

De simples besoins d’argent, nous ne l’ignorons pas, avaient été jadis une des causes déterminantes de sa vocation. Le jour, pourtant, où il rédigea la première page de son premier volume, un autre mobile, assez puéril également, mais d’un ordre plus noble, ne pesa sans doute pas d’un poids moins sensible sur la décision qu’il prenait de réformer sa vie. « J’ai été affamé de gloire, confesse-t-il ; conséquence du voisinage et du rayonnement paternels. Il y avait là une telle renommée que je serais mort de chagrin, je crois, si je n’étais pas parvenu à m’en faire une quelconque à mon tour. » Il rêva du bruit, un bruit immense autour de sa personne et de son nom. De même que dans les plaisirs, où il avait commencé par se jeter éperdument, il trouvait dans les satisfactions d’amour-propre une des formes de la revanche sur les misères de son enfance douloureuse ; il y trouvait aussi la manière la plus banale, mais la plus éclatante, d’affirmer et d’exercer son individualisme. Comme les enfans, comme les barbares, comme tous les êtres sans grande complexité d’esprit, il aima donc à vingt-cinq ans ce qui brille ; il mit son orgueil à exalter sa vanité, et il fut heureux d’exhiber en public la tapageuse réputation qu’il devait à la Dame aux Camélias : « J’ai promené, dit-il, avec une pittoresque franchise, cette gloire dans les rues, la tête au vent, la secouant comme un panache, pour être remarqué des badauds et des femmes. » Ne traitons pas avec trop d’ironie cet épanouissement d’exubérance ingénue : « C’était la faute de ce qui a en soi son excuse à tout, la faute de la jeunesse. » Et si le vulgaire murmure d’admiration flatteuse qu’il soulevait autour de lui pouvait suffire à contenter le jeune homme, l’homme ne devait pas tarder à sentir la vanité des hommages de ce genre, et à en éprouver plus d’ennui que de joie.

Une heure vint, en effet, où ses aspirations s’élevèrent plus haut que les applaudissemens du public et que l’estime « des