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les écrivains de second ordre, comme lui, paraît un peu traînante et terne ; nous sommes accoutumés aujourd’hui à plus de vivacité et de coloris : Rollin n’était donc pas encore ce qu’il me fallait.

C’est alors que l’Histoire romaine de Michelet me tomba sous la main : je ne la lus pas, je la dévorai. J’y trouvai ce que je cherchais instinctivement, un récit qui me mît sous les yeux une race d’hommes que je désirais connaître et que je sentais bien ne nous être pas tout à fait étrangère. Grâce à lui, tout ce passé sortit pour moi de la pénombre où il était jusque-là plongé, et, du même coup, les vieux monumens, que j’avais de tout temps fréquentés, se peuplèrent d’êtres animés, en chair et en os, qui m’étaient aussi familiers que ceux au milieu desquels je passais ma vie. Michelet m’a donc aidé à comprendre et à aimer l’antiquité, et en parlant ici de son livre, c’est une ancienne dette que je vais payer[1].


I

L’Histoire romaine parut en 1831 ; Michelet avait alors trente-trois ans. Depuis quatre ans, il était maître de conférences à l’École normale et y enseignait surtout la philosophie. C’est seulement en 1829, c’est-à-dire à trente et un ans, qu’il se consacra entièrement à l’histoire.

Ne le plaignons pas de ce retard. Quoi qu’on prétende aujourd’hui, il est utile à celui qui veut être un professeur de ne pas se cantonner trop vite dans une étude spéciale ; l’histoire surtout, prise trop tôt et sans contrepoids, serait pleine pour lui de dangers. Si l’on n’y apporte une certaine maturité d’intelligence et quelque largeur de vues, cette multitude de menus détails où elle nous plonge risque de nous submerger. Une fois empêtré dans le document, on n’en sort plus, à moins qu’on ne se soit fait d’avance un esprit capable de choisir et de généraliser. Malheureusement les idées contraires semblent aujourd’hui prévaloir, principalement chez ceux qui se destinent à connaître et à enseigner l’histoire : ils négligent de plus en plus ces études préliminaires par lesquelles on croyait utile de s’y préparer ; comme on veut arriver vite, on supprime tout ce qui ne paraît pas mener directement au but. Autrefois la licence ès lettres opposait quelque résistance

  1. L’article qu’on va lire doit servir de préface à une édition nouvelle de l’Histoire romaine qui paraîtra à la librairie Calmann Lévy.