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dualisme austro-hongrois et un régime à venir, le trialisme peut-être, le fédéralisme un jour, grave question agitée depuis longtemps, et qui, en 1888, semblait résolue dans l’esprit du comte Thun. On sait qu’en 1871, sous le ministère Hohenwart, elle a failli passer dans le domaine des faits accomplis ; mais cette grande espérance s’est subitement dissipée alors sous une pression étrangère. Elle n’a pas cessé de vivre dans l’ardent désir des Tchèques, qui, les Vieux autrefois, les Jeunes aujourd’hui, en ont constamment poursuivi la réalisation. Quelques jours avant la chute du baron Gautsch, à propos d’une adresse à l’Empereur-roi discutée à la Diète de Bohême, elle s’est trouvée posée une fois de plus. L’adresse affirmait la continuité et l’imprescriptibilité du droit de la Bohême, et, tout en adressant à François-Joseph, à l’occasion de son jubilé, les assurances du plus pur loyalisme, elle l’invitait à réparer une trop longue omission et à venir se faire couronner au Hradschin. Cette adresse a été votée, malgré l’opposition des Allemands qui ont quitté en masse la salle des séances et n’y sont pas rentrés depuis. Le comte Thun l’aurait votée en 1888. Allemand, il ne se serait pas mis en grève et n’aurait pas déserté la séance avec les autres Allemands. Mais nous sommes en 1898 : il s’est passé beaucoup de choses, dans sa vie même, depuis dix ans, et nous ne savons pas ce qu’il ferait aujourd’hui.

Il a été, en effet, pendant sept années, statthalter de Bohême, et il y a laissé des souvenirs un peu mêlés. Admirablement accueilli au début, il est resté animé jusqu’à la fin des intentions les meilleures, mais qui n’ont pas toujours été bien appréciées. Il gouvernait la Bohême depuis quelques mois à peine lorsque les Jeunes Tchèques émirent la prétention que, dans le Landtag, les hauts fonctionnaires ne pussent parler que le tchèque, et de là vint entre eux et lui la première brouille. Cependant, il poursuivait en toute loyauté le succès du compromis discuté à cette époque entre Tchèques et Allemands, et, dans la commission qui l’étudiait, il disait, le 24 mars 1891 : « Le gouvernement désire que le compromis soit le plus tôt possible achevé dans toutes ses parties. » C’était son vœu sincère ; et pourtant on lui a reproché plus tard de n’avoir pas fait tout ce qu’il fallait pour le réaliser. Sa situation est devenue de plus en plus délicate. Aux prises avec les exigences des partis, il n’a su ni les satisfaire, ni les dompter, ni les concilier. En 1893, il a été ou s’est cru obligé d’établir l’état de siège à Prague. Le même homme dont le gouvernement avait commencé sous des auspices si favorables avait fini par mécontenter presque tout le monde, et l’énergie de la