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mis dans les yeux de leurs jeunes femmes une grâce plus tendre et plus mélancolique.

Le génie qui a manqué à Steinle, et qui seul aurait pu animer d’un souffle vivant l’héroïque et vain effort des Nazaréens, Overbeck, assurément, ne l’a pas eu, lui non plus. Mais celui-là n’aurait pas ressemblé aux Giottino et aux Lorenzo Monaco, s’il avait eu le bonheur de naître dans l’âge de ses chers primitifs. Il aurait pris son rang parmi les maîtres, égal aux meilleurs d’entre eux pour l’ardeur de la foi et la profondeur des pensées. C’était un homme ; et c’était aussi un saint. Je m’étonne que l’Église n’ait pas songé encore à le béatifier, afin qu’avec le bienheureux frère de Fiesole il signifiât le type parfait de l’artiste selon Dieu. Steinle disait de lui, au lendemain de sa mort, qu’il était « la plus noble chose qu’il eût rencontrée en ce monde ». — « Mon bien cher, mon bien vénéré maître, lui écrivait-il en 1839, l’art que tu nous enseignes est le plus haut de tous ; car tu nous apprends à aimer. » Et, de fait, un véritable parfum de sainteté se dégage des lettres d’Overbeck, si profond et si pur qu’on ne se lasse point de le respirer. On ne saurait imaginer des lettres moins variées, plus constamment remplies des mêmes sujets. Pendant les cinquante ans que dure sa correspondance avec Steinle, il ne parle guère de rien que de Dieu et de son ami : tantôt encourageant celui-ci, le conseillant, s’informant des moyens de lui rendre service, et tantôt le prenant pour confident de ses méditations pieuses, ou des craintes que lui inspire l’avenir de l’Église. Mais il n’y a pas une de ses lettres qui ne porte la marque d’un esprit supérieur, volontairement affranchi des passions terrestres. Je voudrais qu’on les traduisît toutes, en s’efforçant de conserver au style sa mélodieuse pureté ; elles montreraient quelles fleurs, de nos jours encore, la foi peut faire éclore dans l’âme d’un poète.

Voici, par exemple, comment Overbeck consolait son ami de la perte d’une petite fille. Après lui avoir rappelé qu’il avait lui-même, peu de temps auparavant, perdu son unique enfant, l’espoir et la joie de sa vie : « Mon frère, lui disait-il, ne cessons jamais de pleurer nos morts, car le Seigneur lui-même a pleuré au tombeau de son ami. Mais n’oublions pas non plus la parole qu’a prononcée, en pleurant, notre divin maître : Je suis la résurrection et la vie, et celui qui croit en moi vivra, même dans la mort. Ton enfant bien-aimée vit : elle est plus vivante que nous. Ne la vois-tu pas, là-haut, parmi la troupe bienheureuse qui suit l’Agneau, chantant cet hymne de louanges mystérieux que seules les âmes sans péché sont admises à chanter ? »

Dans une autre lettre, il s’excuse de ne pouvoir pas aider de ses