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Je ne puis, malheureusement, m’arrêter aujourd’hui aux lettres de Clément Brentano. Elles traitent de trop de sujets divers, et ce sont trop de vraies lettres, des demandes et des réponses, pour qu’une rapide analyse ait quelque chance de les faire apprécier. Qu’on me permette donc seulement de les signaler à tous ceux qu’intéresse l’histoire de la littérature et de la pensée allemandes, et de leur recommander, par la même occasion, la lecture des autres écrits de Brentano, un des hommes dont l’Allemagne devrait être le plus fière. Henri Heine, qui ne s’est point privé de l’imiter, voire de le copier, n’a rien négligé non plus pour le rendre ridicule : le chapitre qu’il lui a consacré, dans son Allemagne, est peut-être d’une perfidie plus subtile encore que celui où il s’est ingénié à discréditer Novalis. Il haïssait à la fois, en lui, son adversaire et son maître, l’ami de Gœrres et le poète romantique. Et comme la ferveur même de la piété de Brentano l’avait, durant les dernières années de sa vie, presque entièrement éloigné du monde des lettres, personne ne s’est trouvé pour tenter sa défense. Il n’a eu d’autres biographes que deux jésuites, les PP. Diel et Kreiten, qui, naturellement, lui ont su gré surtout de son catholicisme. Mais il y avait, sous ce catholique exalté, un délicieux lettré, plein de raison et de fantaisie, érudit, spirituel, profond, aussi à l’aise dans l’ironie que dans l’émotion. On comprend que Steinle, dès qu’il l’a connu, se soit pris pour lui d’une tendresse doublée d’étonnement. Jamais il n’avait rencontré un mystique de cette sorte, qui mêlait aux élans de sa foi les plus libres moqueries, et lui écrivait, par exemple, au sujet du fameux Triomphe de la Religion, exposé par Overbeck au Musée de Francfort : « Overbeck étant un parfait catholique, et n’ayant probablement point commis de péché pendant qu’il exécutait son tableau (qui eût peut-être, sans cela, été moins ennuyeux), peu importe, ensuite, que l’œuvre soit d’une facture qui nous plaise ou non. A l’exposition suprême du jugement dernier, on lui tiendra compte de la conscience avec laquelle il y a gagné son pain à la sueur de son front : et tout au plus sera-t-il condamné à une légère amende pour avoir accordé si peu d’égard au besoin de beauté de notre espèce déchue. La beauté, d’ailleurs, n’est nullement le fait des artistes, mais vient directement de Dieu, qui la met dans leurs œuvres où et quand il le veut. Que si donc Dieu en a refusé le don à ce tableau, et qu’Overbeck voie dans ce refus un rappel à l’humilité chrétienne, son travail se trouve ainsi servir, finalement, ad majorera Dei gloriam. Ainsi soit-il ! » Après quoi Brentano démontre à son ami que l’allégorie convient mieux à l’art que les sujets historiques, que la recherche de la beauté plastique n’est pas incompatible avec