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En effet, pour prendre deux exemples qui illustrent ma pensée, il est remarquable qu’un grand nombre des morceaux antiques et héroïques, déjà anciens, de M. Leconte de Lisle, et quelques sonnets épiques, plus récens, de M. José-Maria de Heredia, sont nés du même goût, procèdent de la même inspiration, révèlent la même recherche de la beauté pittoresque et plastique, ont jailli d’une pensée peuplée des mêmes images, sont animés du même mouvement rythmique, et dus au même sentiment artistique que les fragmens bucoliques d’André Chénier. » C’est aujourd’hui ce que l’on ne saurait nier. Si l’on demandait à l’auteur des Trophées quels ont été ses vrais maîtres, il répondrait : Ronsard et Chénier ; et quant à Leconte de Lisle, ce ne sont pas seulement ses Poèmes antiques dont l’inspiration remonte aux Idylles de Chénier ; mais ses Poèmes barbares eux-mêmes sont la réalisation de cette poésie largement « naturaliste » qu’avait rêvée Chénier dans son Hermès.

Ce sont bien là trois époques de la poésie française depuis cent vingt-cinq ans. Les livres de M. Louis Bertrand et de M. Henri Potez nous sont un témoignage que l’on commence à les distinguer. Nous nous en réjouissons, comme d’un assez bon exemple du pouvoir de la méthode. Et en effet, aussi longtemps que la critique et l’histoire ne se sont souciées que de nous donner leurs « impressions » sur André Chénier, sur Victor Hugo, sur Leconte de Lisle, nous sommes encore tout embarrassés dans les confusions qu’elles ont commises ; mais depuis qu’on s’est efforcé de distinguer les époques entre elles, — les époques d’abord et les individus ensuite, — non seulement la clarté s’est faite, mais encore ce sont les individus que nous avons appris à mieux connaître, et à caractériser avec plus de précision : André Chénier lui-même, Victor Hugo et Leconte de Lisle.