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financières de Jean Giraud. Ce sont des ornemens qui n’avaient point été compris dans le plan primitif de l’édifice, et qui s’y trouvent rajoutés par un simple procédé de placage, un peu à la façon des portiques pseudo-grecs que les architectes du XVIIe siècle construisaient sur la façade des cathédrales gothiques ; l’ensemble du monument relève de deux inspirations distinctes. De même ici, la série des pièces qui s’intitulent le Demi-Monde, la Question d’Argent, le Fils naturel, Un Père prodigue, l’Ami des femmes, doivent être, sous peine de confusion, envisagées comme absolument indépendantes des argumens préliminaires auxquels elles ne sont jointes réellement que par un artifice de mise en pages : les comédies appartiennent à la seconde manière ; les préfaces à la troisième.


III

De 1854 à 1865, c’est la période où le grand maître des « pièces à thèses » ne soutient précisément aucune thèse très nette, où il écrit des œuvres sans conclusions, ou bien à conclusions tellement vagues qu’elles ne jouent guère dans son théâtre un rôle plus important que les fameux dénouemens de Molière ; c’est, en un mot, l’époque des tableaux de mœurs purs et simples, sans autre préoccupation apparente que le souci classique d’édifier notre humanité, en lui mettant sous les yeux la peinture vraie de ses défauts et de ses vices. Quand l’écrivain, en 1808, parlera du Demi-Monde représenté en 1855, nous le verrons, par ressouvenir sans doute de l’état d’esprit dans lequel il composa son étude dramatique, formuler des déclarations bien extraordinaires sous sa plume : « Est-ce que l’art, au théâtre surtout, est chargé d’épurer les mœurs des classes laborieuses ?… L’émotion causée par la peinture d’une vraie passion, quel que soit l’ordre de cette passion, du moment qu’elle est exprimée dans un beau langage, traduite dans un beau mouvement, cette émotion vaut mieux que les tirades toutes faites,… et elle moralise bien autrement l’homme en le forçant à regarder en lui, en faisant monter à la surface tous ses mystères intérieurs, en remuant le fond de la nature humaine. » Or, d’une manière générale tout ceci est soutenable, et a même été bien des fois soutenu par les réalistes et naturalistes d’aujourd’hui ou de jadis ; si une telle doctrine nous étonne quelque peu, c’est qu’elle ne cadre guère avec les