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grottes du labyrinthe tenait dans sa main le fil remis par Ariane. Il put ainsi revenir sur ses pas et gagner l’entrée de l’abîme. Ne semble-t-il pas que l’animal possède lui aussi le fil d’Ariane et le déroule toutes les fois qu’il s’engage dans l’inconnu ?

Avant de passer à un autre ordre d’idées, arrêtons-nous un instant à une objection qui se présente tout naturellement à l’esprit. Nous avons cité, à l’appui de nos dernières déductions, des observations faites sur le pigeon voyageur. L’organe de l’orientation lointaine ayant été, chez cet intéressant messager, développé par une sélection savante, peut-on généraliser et appliquer aux autres animaux les remarques qui le concernent ? Nous n’hésiterions pas à répondre affirmativement à une semblable question : par la sélection, l’homme développe d’une façon anormale telle aptitude au détriment de telle autre, il déforme le type primitif, détruit souvent à son profit l’équilibre de la nature. Il ne peut cependant créer une aptitude nouvelle, il se borne seulement à modifier les aptitudes existantes. La variation et l’hérédité sont en effet les seuls moyens dont il dispose pour l’accomplissement de son œuvre. Nous ne pourrions donc découvrir, chez le pigeon voyageur, une faculté qui n’existât pas en germe chez son ancêtre sauvage.

Si un nouvel exemple paraît néanmoins nécessaire pour confirmer notre thèse, nous allons citer encore un fait intéressant emprunté à l’histoire des oiseaux migrateurs. En 1883, par une nuit obscure et pendant une bourrasque épouvantable, une nuée d’oies sauvages s’abat à Clermont-Ferrand sur l’église Saint-Eutrope et sur les maisons avoisinantes. Après un arrêt de deux heures, le vent s’étant calmé, les oiseaux reprennent à travers les airs leur voyage interrompu. Cependant, un certain nombre d’entre eux, qui étaient descendus dans les jardins ou dans les cours, ne réussissent pas à prendre leur essor. Ils se cognent contre les murs, s’embarrassent dans les branches des arbres, quelques-uns sont tués et d’autres sont assez grièvement blessés pour être ramassés le lendemain matin par des habitans.

L’oie sauvage n’a pas l’œil conformé comme les oiseaux noctambules. Privés de la vue par une obscurité exceptionnelle, nos oiseaux n’hésitent pas cependant à se mettre en route, guidés par le seul organe de l’orientation lointaine. Le sens de direction, organe subjectif, leur donne la direction à suivre, indique le contre-pied du parcours effectué à la saison précédente. La vue,