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d’abord ensemencée pendant deux ou trois ans, puis laissée un an en jachère ; après quoi, suivant qu’elle est plus ou moins fertile, on lui applique l’assolement triennal habituel en Russie, — blé ou seigle, avoine, jachère, — ou bien on ne la cultive qu’une année sur deux. Quand le rendement, qui baisse d’année en année, devient tellement faible que le champ ne peut plus donner aucun profit sérieux, on l’abandonne et on le laisse reposer pendant cinq, dix, vingt ou même trente ans, jusqu’à ce que des signes particuliers, tels que l’apparition de certaines herbes, aient permis de reconnaître que le sol a recouvré quelque fertilité. On l’ensemence alors à nouveau, mais la durée de cette seconde période de culture est moindre que la première, la proportion des années de jachère plus forte, les grains employés plus grossiers : le froment ou le seigle d’hiver sont remplacés par le seigle de printemps, par l’orge, par le sarrasin. Le nombre de récoltes qu’on peut tirer d’un champ pendant une période de culture varie de trois à quatre pour les plus pauvres, à trente et quarante pour les plus riches ; quelques terrains exceptionnels sont même cultivés depuis cent ans sans intervalle de repos prolongé.

Une culture aussi extensive, négligeant absolument l’usage des engrais qui pourraient maintenir la fertilité du sol, doit, en général, aboutir d’autant plus vite à l’épuisement de la terre que les charrues primitives des moujiks n’en peuvent remuer qu’une mince couche superficielle. On s’aperçoit, en Sibérie, de cet affaiblissement des qualités productrices du sol à la fréquence croissante des mauvaises récoltes, à la moindre résistance opposée par les céréales aux caprices d’un climat inconstant et rigoureux, aux sécheresses, aux brouillards d’automne, aux gelées, tardives ou précoces, du mois de juin ou du mois d’août. Aussi l’irrégularité des moissons est-elle devenue un véritable fléau : en 1894, on a récolté 18 742 000 hectolitres de grains de toute sorte dans le gouvernement de Tobolsk ; l’année précédente, la moisson n’avait produit que 6 300 000 hectolitres. Ces variations ont les conséquences les plus graves dans un pays où les communications ont été, jusqu’à ces dernières années, très difficiles : elles ont entraîné les plus brusques soubresauts dans les prix ; dans le sud du gouvernement de Tobolsk, on a vu le prix des 100 kilogrammes de seigle passer de 2 francs, dans l’automne de 1887, à 11 fr. 60, un an plus tard, et atteindre 32 francs, en 1892. Les cours les plus élevés de la farine de seigle et de la farine de blé cotés sur le