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séduisant en théorie ; mais quand on lutte corps à corps avec les obstacles, on reconnaît de plus en plus que, pour bien servir le souverain et le pays, il ne faut donner au hasard que ce qu’on ne peut lui arracher. Je me sens les épaules assez fortes pour le fardeau dont je me suis chargé ; mais je le porterai d’autant mieux que je me sentirai une certaine liberté d’allure. » Voilà un langage sensé et correct. Néanmoins l’Empereur revient à la charge. Le 4 juin, il fait écrire par le ministre de la Guerre : « Vous êtes à la tête de la plus belle armée qui ait peut-être existé. Une réputation immortelle vous est assurée, mais il faut faire de grandes choses. La conduite du siège même est bien plus dans les attributions du général commandant du génie que dans celles du général en chef. Or le général du génie vous a adressé les observations suivantes : « Si vous voulez continuer le siège sans investir la place vous n’obtiendrez qu’après des luttes sanglantes et acharnées, qui vous coûteront vos meilleurs soldats, ce qui serait venu de soi-même après l’investissement. » Je suis d’accord avec le gouvernement anglais qui écrit la même chose à lord Raglan : Je vous donne l’ordre positif de ne point vous acharner au siège avant d’avoir investi la place. Concertez-vous donc sans retard avec lord Raglan et Omer-Pacha afin de prendre l’offensive, en agissant soit par la Chersonèse, soit par Simféropol. Nous vous laissons à tous les deux la plus grande latitude sur les moyens à employer. Votre dépêche du 22, qui explique votre plan, ne satisfait nullement l’Empereur, et lui fait craindre beaucoup de retard et rien de décisif. »

Pélissier ne capitule pas. Il ne prend pas l’offensive par la Chersonèse ou par Simféropol. Selon sa conception primitive et persistante, il la dirige contre les ouvrages des assiégés, et toujours d’accord avec Raglan, il s’acharne au siège. Le 7 juin au soir, après un bombardement de deux jours, les assiégeans se trouvent définitivement les maîtres du Mamelon-Vert, des ouvrages Blancs, de l’ouvrage des Carrières, et de toutes les défenses extérieures de l’ennemi. Peu après, la diversion sur Anapa obtenait le même succès que celle sur Kertsch.

Ces succès avaient causé dans l’armée une véritable exaltation de confiance. Le 9, la Reine envoyait ses félicitations à ses troupes, et elle y associait Pélissier. De Paris, rien de l’Empereur avant le 14. À cette date une lettre aigre-douce : « J’ai voulu, avant de vous féliciter du brillant succès que vous avez obtenu, connaître