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former une union plus compacte… En résumé, l’Empereur n’exprima que deux désirs politiques : « l’un, de voir la Lombardie débarrassée de la mauvaise administration de l’Autriche ; l’autre, la restauration d’une Pologne quelconque, quelque petit que fût le noyau, ne fût-ce que le grand-duché de Varsovie. »

Naturellement le prince Albert ne s’associa pas à ces deux désirs. Relativement à la Lombardie, il dit que sa délivrance serait souhaitable dans l’intérêt même de l’Autriche, mais que l’Autriche ne pouvait consentir au principe des nationalités qui serait son arrêt de mort, et que le Mincio était la frontière indispensable de Vienne. « Si des frontières militaires, répondit l’Empereur, étaient indispensables à l’existence des nations, la France serait aussi en droit d’en réclamer une. — La France, riposta le prince, a la meilleure des frontières militaires, la neutralité de la Suisse et de la Belgique qui couvrent ses flancs. » La provocation à s’expliquer sur le Rhin était flagrante. L’Empereur ne voulut pas comprendre et répondit simplement : « La neutralité n’est pas une protection, vu qu’en temps de guerre elle est rarement maintenue. »

Le départ pour la Crimée fut naturellement l’objet des entretiens, et les instances de Clarendon furent renouvelées. Sans s’y rendre absolument, l’Empereur y concéda cependant quelque chose en ratifiant l’invitation adressée au gouvernement piémontais d’envoyer son contingenta Balaklava, non à Constantinople. C’était l’aveu indirect que le départ pour la Crimée devenait au moins incertain. Cavour l’interpréta ainsi et n’opposa plus d’objection. Il se rendit à Gênes pour combiner avec La Marmora les modifications matérielles que ce changement de destination rendait nécessaires.

Puisqu’on était en veine de concessions, Cavour en fit une, lui aussi. Il accorda aux Anglais que les troupes piémontaises s’établiraient auprès d’eux et agiraient de concert avec Raglan. Il ne se risqua pas cependant à l’annoncer à La Marmora, craignant qu’il refusât de partir. Chaque fois que celui-ci l’interrogeait sur l’attitude qu’il devait prendre vis-à-vis des autres chefs d’armée, il se dérobait par une plaisanterie. À bord du navire qui allait l’emporter, le général lui dit : « Me donnerez-vous enfin ces bienheureuses instructions ? » Pour toute réponse, Cavour l’embrassa, lui disant : « Débrouille-toi. » Mais en arrivant à Constantinople, le général trouva un télégramme l’informant de la concession,