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étaient admis effectivement à faire la preuve de leurs affirmations. L’ont-ils faite ? Est-ce que, devant le dernier conseil de guerre, ils ont démontré la culpabilité du commandant Esterhazy ? Est-ce que, devant le jury de la Seine, ils ont démontré la prétendue complaisance avec laquelle le même conseil aurait jugé ? Non : ils n’ont rien fait de semblable. Ils n’ont pas cessé de reconstituer à leur façon le procès Dreyfus, sans songer que le procès Dreyfus n’aurait pu être remis en cause que s’ils en avaient d’abord gagné quelques autres. Ils commençaient par où ils auraient dû finir ; ils commettaient la plus injustifiable des pétitions de principe ; et, sentant l’insuffisance de leurs argumens, ils tâchaient d’y suppléer en provoquant des passions mauvaises, et en lançant des accusations odieuses. Telle a été la physionomie de ce procès, qui a eu le seul dénouement qu’il pouvait avoir, et sur lequel, — au moins pour aujourd’hui, — nous préférons ne pas insister.

Il serait à désirer que le silence se fît autour d’une affaire qui a jeté dans le pays un trouble si profond. Elle a mis la division partout ; elle a fait sortir beaucoup de gens de leur caractère ; et si nous repassions, dès maintenant, tous les incidens d’audience qui viennent de se dérouler au Palais de Justice, nous devrions faire de si nombreuses réserves, tantôt à propos de l’un et tantôt à propos de l’autre, que nous préférons n’en rien dire du tout. Il suffit de constater que l’armée, qui avait été si outrageusement injuriée et diffamée, a reçu toutes les satisfactions qui lui étaient dues. La sympathie la plus vive s’est manifestée en faveur des officiers qui travaillent silencieusement au relèvement de la patrie, et que des voix imprudentes étaient venues troubler dans leur œuvre patriotique. Cette sympathie a été encore en s’accentuant lorsqu’on a vu les anciens chefs du radicalisme et les représentans actuels du socialisme et de la démagogie se rallier autour des défenseurs de Dreyfus et mêler leur cause à la sienne. C’est de leur part que sont venus les coups les plus retentissans et les plus directs contre l’armée, contre l’état-major, contre les généraux qui préparent la défense, et qu’ils ont accusés de préparer la défaite nationale. Aussi l’émotion, l’impatience, la colère du pays ont-elles été bientôt à leur comble, et ce sont là des sentimens avec lesquels il serait téméraire de jouer. On dénonce le militarisme de plus en plus envahissant ; on parle de dangers qui n’existent pas, mais qu’on pourrait bien faire naître à force d’en parler. Il est temps de rendre au pays le calme auquel on l’a brutalement arraché. Lorsqu’on songe au point de départ de cette affaire, et au point d’arrivée où nous