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il en ferait leçon. En toute rencontre, l’ambition, l’orgueil, le cœur martial qui bat en lui le poussent à se signaler par des actes de valeur qui lui attirent l’admiration. Aussi ne pourrait-on se passer de lui pour combattre un ennemi qui possède les mêmes qualités naturelles. » Mais il fallait s’y prendre d’avance pour s’assurer son secours, il était dangereux d’attendre l’heure des grandes crises pour faire des enrôlemens, pour lever, encadrer, instruire, discipliner de nouveaux régimens indigènes.

L’éducation du soldat italien demandait plus de temps encore. Il possède, lui aussi, de grandes qualités naturelles ; il a les reins et l’esprit souples ; il s’habitue facilement aux privations ; il est bon marcheur, gai, vif, industrieux. Mais, comme tout le monde, il a ses défauts : « Il est impressionnable, dit le général Baratieri, et se laisse démoraliser ; il est sujet à ces abattemens, à ces accès de prostration, qui en Afrique sont contagieux aussi bien dans les troupes blanches que dans les troupes de couleur. » Pour que le soldat italien devienne un bon soldat colonial, il faut lui donner le temps de s’accoutumer aux nouveautés, de revenir de ses effaremens, de se familiariser avec les hommes et les choses, et l’Ethiopie n’est pas un pays avec lequel on se familiarise en un jour. « L’âme du soldat le plus calme, le plus ferme, éprouve un saisissement en présence de paysages si divers et dans une telle variété de climats. Qui pourrait, sans ressentir quelque malaise, passer de la chaleur oppressante de Massoua et de la côte à l’air piquant qu’on respire sur des hauteurs de plus de 2 000 mètres, et qui donne lieu quelquefois à de singuliers phénomènes ? Les légendes de casernes et de bivouacs exaltent les esprits, font voir les choses les plus invraisemblables et produisent les plus étranges hallucinations. La campagne de 1887-1888 fut troublée par de très fréquentes paniques, et quiconque a visité l’Ethiopie peut conter de curieuses anecdotes : mirages, phénomènes de double vue, vertiges, accès de délire, que de choses bizarres se passèrent dans la tête de nos jeunes conscrits ! » Le général en conclut que quelques mois de séjour dans la colonie sont nécessaires pour calmer, pour tranquilliser des imaginations surexcitées, mais qu’il en faut davantage encore pour que des officiers, des sous-officiers et des soldats qui ne s’étaient jamais vus apprennent à se connaître, s’accordent mutuellement leur confiance et forment une « véritable famille de guerre. »

La plupart de ces soldats étaient des volontaires, et il y avait dans le nombre beaucoup de chercheurs d’aventures ; d’autres demandaient à aller en Afrique parce qu’ils avaient pris l’Italie et la caserne en