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l’intervalle entre les ouvrages, cent vingt ou deux cent cinquante mètres. Quant aux communications transversales d’une rive à l’autre, elles ne pouvaient se faire que par Meung et par Jargeau, l’un au-dessous, l’autre au-dessus, éloignés d’environ quatre lieues ; ces deux ponts étaient gardés par des fortifications. Enfin, les Anglais dispersés dans les différens ouvrages ne formaient pas au printemps de 1429 un effectif de plus de cinq mille hommes.

A vrai dire, cet ensemble manquait de consistance, mais Orléans n’en valait pas mieux ; la situation y était tellement désespérée que le gouverneur Gaucourt et l’archevêque Regnaud préféraient s’en esquiver le 13 février et gagner Chinon.

En vain Dunois, bâtard d’Orléans, persévéra à défendre la ville de son père, et chercha à retenir les deux personnages au nom du miraculeux secours attendu ; l’ancien secrétaire du Pape n’avait qu’une confiance modérée dans les miracles. Même après les événemens accomplis, ce cœur sceptique et dur n’éprouva rien que haine pour la vierge coupable de ces actes miraculeux. « Ils avaient des yeux et ils n’ont pas vu, ils avaient des oreilles et ils n’ont pas entendu. »


C’est de Blois que Jeanne somma pour la première fois les Anglais d’avoir à évacuer la terre de France. Le 27 avril, l’armée s’avança dans cet ordre singulier : en tête, un groupe de prêtres chantant le Veni Creator Spiritus ; derrière eux, la bannière de Jeanne, dont les porteurs avaient dû d’abord recevoir les sacremens ; puis Jeanne, accompagnée par Gaucourt et les autres capitaines. « Elle portait le harnois aussi gentiment que si elle n’eût fait autre chose de sa vie ».

On passa la nuit au bivouac. Le lendemain, Jeanne, qui venait pour la première fois de coucher avec son armure, se réveilla fatiguée et malade ; mais debout la première, elle fit lever toute la troupe, puis communia devant le front ; un grand nombre de soldats se confessèrent avant de se remettre en chemin. Le 29, on défilait à hauteur d’Orléans devant les bastilles de la rive gauche. Les Anglais, frappés d’une crainte superstitieuse, n’avaient pas donné signe de vie.

On vit alors l’incommodité de la route choisie et la faute que les capitaines avaient commise en trompant Jeanne. La Loire étant, nous l’avons dit, le seul chemin à suivre pour gagner Orléans, les grands bateaux à voiles préparés pour le transport de