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âme effroyable ; mais, comme elle répète à propos, d’autres fois :

« Je suis une rose dans la vallée, une fleur de Saron… »

Toutes ces figures de second plan, comme aussi tous les détails des scènes habilement agencées, concourent à dessiner en vigueur ce personnage saisissant de l’Annonciateur, écrasé par sa destinée, dominé par l’approche invisible de « Celui qui doit venir », porteur de l’Amour et de la Vérité, de Celui qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas, mais dont le cortège pacifique apparaît à la dernière scène, pendant que la tête de Baptiste circule parmi les convives d’Hérode. Et ce personnage est d’une envergure que M. Sudermann n’avait pas encore atteinte. J’irai plus loin : je dirai que, dans le cycle assez nombreux des drames que l’on emprunte depuis quelques années à la légende sacrée, Jean me paraît au premier rang. Et le mérite en revient, du moins en partie, à la liberté dont l’auteur en a usé avec le texte. Si l’on veut puiser à cette source, dont la richesse est extrême, qu’on ne cherche pas à découper en dialogues les Evangiles, à paraphraser les paroles consacrées, à coudre scène à scène les récits des synoptiques ; qu’on s’efforce au contraire d’éclairer les figures à peine esquissées par l’histoire, de développer les situations que les apôtres ont à peine indiquées, d’interpréter, en un mot, selon les exigences de notre art actuel, des thèmes d’une magnificence unique, d’une saisissante humanité. Ainsi faisaient déjà les auteurs de nos vieux mystères ; on sait bien que leurs plus belles scènes étaient celles qui leur appartenaient en propre, — celles où Joseph et Marie discutaient leurs moyens d’existence, où Marie suppliait Jésus d’abréger son supplice, où Lazare, beau chevalier, partant en chasse, un faucon sur le poing, s’arrêtait auprès de la belle Madeleine. — M. Sudermann vient de montrer que, dans cette voie, il y a encore, il y aura peut-être toujours « quelque chose à trouver. »


EDOUARD ROD.