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s’est mêlée à elles pour les aider dans leur tâche, et aussi pour y jouer un rôle. Son action, combinée avec celle de la Russie et avec la nôtre, a été utile pour amener le dénouement ; mais, en outre, elle indiquait déjà de sa part l’intention de ne laisser rien se passer en Extrême-Orient sans que l’influence germanique s’y exerçât et en profitât. C’est pour cela que l’Allemagne s’est établie à Kiao-Tcheou. La brusquerie de l’attaque n’a pas seulement étonné la Chine, elle l’a déconcertée. Le prestige militaire de l’Allemagne est grand dans ces pays lointains où les bruits de l’Europe arrivent plutôt grossis qu’affaiblis par la distance parcourue. Le défenseur de Kiao-Tcheou a été pris de vertige en voyant débarquer les soldats de l’empereur Guillaume, et il a tout livré. Le Tsong-li-Yamen a éprouvé d’abord un sentiment analogue. Il s’est empressé d’accorder ou du moins de promettre les satisfactions qu’on lui demandait : pourtant il a essayé de résister à la cession de Kiao-Tcheou, et au lieu du monopole des chemins de fer dans le Chan-Toung, il a parlé d’accorder des privilèges. Il compte peut-être que l’audace et les prétentions de l’Allemagne éveilleront des susceptibilités ou même des inquiétudes chez certaines puissances. Qu’en pensera l’Angleterre ? Qu’en pensera la Russie ? La France aussi aura son mot à dire dans le développement ultérieur des événemens : pour le moment, nos intérêts ne sont pas en jeu. L’établissement de l’Allemagne en Asie n’est pas une menace à notre adresse. Au lieu de se fixer près de nous, où elle aurait pu devenir gênante, elle s’est établie très au loin vers le nord. Il est impossible de prévoir aujourd’hui les combinaisons politiques auxquelles cette situation donnera naissance dans un avenir probablement éloigné. Tout ce qu’on peut dire, c’est que, du moins jusqu’à ce jour, loin de contrarier notre développement colonial, l’Allemagne l’a plutôt regardé d’un œil favorable. Il ne lui déplaisait pas de nous voir chercher des acquisitions, des satisfactions au delà des mers, et y employer une partie de nos forces. Mais si elle a fait ce raisonnement pour nous, nous pouvons le faire pour elle, et, si elle applique à son tour une partie de ses ressources et de ses forces à devenir une grande puissance maritime et coloniale, cela n’a rien pour nous déplaire ou nous alarmer.

Or, tel paraît bien être le désir ardent de l’empereur Guillaume, et le langage qu’il a tenu au Reichstag, dès l’ouverture de sa session, en est une preuve de plus. Il y a deux parties dans son discours, l’une officielle et par conséquent un peu froide, l’autre toute personnelle, où c’est l’homme qui parle, et où son imagination religieuse, mystique