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naître au besoin. La rapidité et la décision avec lesquelles elle a agi montrent qu’elle s’y était préparée de longue main. Nous voyons se développer une pensée politique, depuis longtemps réfléchie et calculée, et dès lors inflexible dans son exécution.

Depuis quelques années, les grandes nations de l’Europe, toutes celles du moins qui ont un empire colonial et qui entendent le développer, regardent du côté de l’Extrême-Orient. Combien de fois n’a-t-on pas dit que les intérêts politiques du monde se déplacent, et que le monde lui-même semble muer grâce à la rapidité des communications et à la force de pénétration prodigieusement accrues dont dispose le génie humain ? Il y a un demi-siècle, la question d’Orient, qui s’agitait dans la Méditerranée, était la préoccupation maîtresse des diplomates, et certes elle l’est encore ; on le voit en ce moment même ; mais on commence à avoir l’instinct que quelque chose de plus compliqué encore se prépare dans les mers et les continens ultra-orientaux, et que, sur un échiquier démesuré, les mêmes problèmes se poseront un jour avec les mêmes difficultés pour les résoudre. De là à penser qu’il y a lieu de prendre, dès aujourd’hui, position sur des points bien choisis du continent jaune, la transition est si facile qu’elle s’impose. L’Angleterre l’a fait la première en s’établissant à Hong-Kong et en Birmanie. De Hong-Kong, elle peut tout surveiller et profiter de tout. De Birmanie, elle s’est ouvert une route sur un autre côté de la Chine. La Russie étend ses vastes domaines sur toute l’étendue septentrionale du continent, depuis l’extrémité est jusqu’à l’extrémité ouest. Tout le monde connaît les progrès qu’elle a accomplis en quelques années, et pressent ceux qu’elle fera dès qu’elle aura construit son chemin de fer transsibérien. Les vues qu’on lui prête plus au sud ont quelquefois inquiété certaines puissances, non seulement en Europe, mais en Asie même, où le Japon n’a pas renoncé aux siennes sur la Corée. Quant à la France, elle a occupé le sud-est du continent, et l’Indo-Chine française constitue à elle seule un empire colonial, dont il nous manque seulement d’avoir su tirer tout le parti qu’il offre. Nous aussi, nous sommes bien placés pour attendre la décomposition du colosse chinois. Il était facile de prévoir que l’Allemagne, jeune, ambitieuse, pleine de vie et disposant d’un surabondance de population qui ne demande qu’à se répandre dans les deux hémisphères, tiendrait à son tour à s’assurer un point où elle pourrait plus tard appuyer son levier. Récemment, lorsque la Russie et la France sont intervenues pour régler le conflit sino-japonais, on a remarqué l’empressement adroit avec lequel l’Allemagne