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son avis : on commence à croire que, s’il ne le fait pas partager au Reichstag, il arrivera du moins à le lui imposer. Au point de vue pratique, c’est la même chose. La pression de sa volonté finit par l’emporter sur des résistances moins énergiques. Et puis l’empereur, après avoir beaucoup parlé, s’est décidé à agir. lia d’abord fait des plans, des tableaux graphiques, des conférences : tout cela ne pouvait être qu’une préface à une action plus décisive. Finalement il a compris que le meilleur moyen d’apprendre aux gens à nager était encore de les jeter à l’eau. Pour mieux prouver la nécessité d’avoir une grande marine, il est entré dans une politique qui la rend en effet indispensable. Au moment même où le Reichstag allait se réunir, et où il s’apprêtait à lui soumettre un projet de septennat maritime, il a fait à la fois acte d’intimidation et de force sur deux points du monde très éloignés l’un de l’autre, à Port-au-Prince et à Kiao-Tchéou. Les deux affaires ne peuvent pas être comparées. La première est déjà terminée ; la seconde ne fait sans doute que commencer ; mais l’une et l’autre viennent de la même inspiration. A mesure que les intérêts de l’Allemagne se développent à travers le monde, l’Empereur a voulu montrer qu’il était prêt à les défendre, et qu’il en était capable.

Les deux incidens qui s’étaient produits en Haïti et en Chine y sont malheureusement assez ordinaires. A Port-au-Prince, un ressortissant allemand, — ou soi-disant tel, car sa qualité n’a pas été bien prouvée, — avait été l’objet de vexations. Tous les gouvernemens européens qui ont des nationaux à Port-au-Prince sont habitués à des faits de ce genre et ont le tort de les traiter avec une patience excessive. Ils entament des négociations interminables. La médiocrité de ces affaires, le peu d’importance des intérêts en cause, la disproportion entre l’effort à déployer pour atteindre un résultat et ce résultat lui-même, prédisposent l’Europe à la longanimité. Le gouvernement haïtien a pris l’habitude d’y compter : aussi se montre-t-il volontiers rétif devant les demandes qu’on lui adresse, et temporisateur au delà de toute mesure. L’Allemagne a pris le contre-pied des précédens. Elle a fait des menaces sérieuses, des menaces réelles, en même temps qu’elle énonçait ses griefs et en exigeait la réparation. Elle a envoyé plusieurs navires devant Port-au-Prince, et de ces navires est sorti un ultimatum qui laissait au président de la République quelques heures pour se déterminer. Dans ces conditions, la résistance a paru impossible ; le gouvernement haïtien s’est soumis : il a accordé tout ce qu’on voulait, en déclarant qu’il ne cédait qu’à la force. On s’en doutait bien ; il n’a pas l’habitude de céder à autre chose. Toutes les