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ces conversations qui ont bientôt l’univers pour confident. C’est lui qui a amorcé la politique coloniale de l’Allemagne, et a planté pour la première fois le drapeau de l’empire au Cameroun, sur la côte occidentale d’Afrique. C’est encore lui qui, contournant presque aussitôt le vaste continent, l’a entamé sur la côte orientale. On ne peut donc pas l’accuser d’avoir méconnu la force d’expansion (de son pays, et de n’avoir pas cherché à lui ouvrir des débouchés. Il a gémi plus d’une fois de voir la patrie germanique, si féconde dans ses enfans, laisser leur émigration se porter et se perdre dans des régions tout à fait étrangères. Pourtant, M. de Bismarck, s’il a été l’initiateur de la politique coloniale, la toujours suivie avec prudence, avec mesure, avec circonspection. Il a pris soin de ménager les intérêts préexistans, et même les susceptibilités des autres puissances, et de ne pas se mettre en conflit ou en opposition avec elles. Après lui, il n’en a pas été tout à fait de même. Nous n’avons eu, pour notre compte, jamais à nous plaindre des entreprises de l’Allemagne, mais ce n’est un secret pour personne que l’Angleterre ne les regarde pas sans quelque mauvaise humeur. Une sourde hostilité existe entre les deux pays. M. de Bismarck le déplore. Il condamne la direction nouvelle qui a été imprimée aux affaires. Il exprime la crainte qu’un jour ou l’autre elle n’ait son influence, et une influence funeste, sur la situation européenne de l’Allemagne. Beaucoup d’esprits partagent sa préoccupation dans l’Empire ; beaucoup aussi, se plaçant à un point de vue moins élevé, redoutent le terrible accroissement de dépenses qui en résultera. Si l’Allemagne, devenue amphibie, doit, en même temps, entretenir une armée déterre capable de tenir en respect l’armée française, et une flotte capable de faire figure à côté de la flotte britannique, son budget ne manquera pas d’en être très éprouvé. Le diplomate n’est pas très rassuré sur l’opportunité de cette politique, et le simple contribuable ne paraît pas non plus disposé à l’accueillir avec un enthousiasme sans réserves.

Malgré ces critiques, Guillaume II reste fidèle à sa pensée ; il poursuit son rêve avec une obstination que rien ne peut ébranler. L’avenir sera ce qu’il plaît à Dieu ; nul ne peut aujourd’hui en percer l’obscurité ; le XXe siècle qui va s’ouvrir n’a dit son secret à personne. Si l’empereur réussit, il sera un des plus grands initiateurs qui auront leur place dans l’histoire de son pays. En tout cas, la persévérance qu’il montre est intéressante en elle-même ; elle donne à l’Europe attentive un des spectacles les plus curieux auxquels elle ait assisté depuis longtemps. Il y a peu de jours encore, Guillaume était seul de