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« Le moderne, tout est là ! La sensation, l’intuition du contemporain, du spectacle qui vous coudoie, du présent dans lequel vous sentez frémir vos passions et quelque chose de vous, tout est là pour l’artiste... » C’est leur ambition de donner au lecteur ce frisson du moderne ; et ils ont parfois réussi à peindre le décor de leur époque. Le bal de l’Opéra notamment les a comme fascinés ; ils en ont voulu rendre le papillotement et léguer l’impression troublante aux générations futures. C’est de même que les romanciers naturalistes décriront une exposition de peinture, un retour des courses, une première représentation. Ils emprunteront le sujet de leurs récits à une anecdote récente, à un scandale tout chaud. Ils copieront leurs personnages sur des originaux que nous avons coudoyés dans les rues, dont nous reconnaissons la silhouette et parfois jusqu’aux noms. L’auteur de Boule de Suif ne remonte guère plus haut que les événemens de 1870, et si la date du second Empire est inscrite au frontispice de l’histoire des Rougon-Macquart, elle n’y figure qu’à titre d’anachronisme : ce sont des mœurs et des figures d’aujourd’hui que M. Zola nous présente dans un cadre d’hier. Ne s’avise-t-il pas maintenant d’emprunter aux exploits des anarchistes la matière de son dernier roman ? Ce goût du modernisme est d’ailleurs si généralement partagé par la masse du public qu’on ne sait si les lecteurs ont davantage encouragé les romanciers par leur complicité, ou si les romanciers ont flatté davantage une manie des lecteurs. Quoi qu’il en soit, ces écrivains ne conçoivent pas que le roman puisse avoir d’autre objet que la représentation de la réalité présente.

Cette conception leur est particulière. Ce n’était pas celle des maîtres incontestés du réalisme. Stendhal ouvre par la fameuse description de la bataille de Waterloo un roman qui paraît en 1839. Mérimée, revenu de sa première ferveur romantique, reste fidèle aux époques de civilisation primitive et rudimentaire et donne à ses récits le recul de l’espace quand ce n’est pas celui du temps. Balzac dans la préface de la Comédie humaine se reconnaît débiteur de Walter Scott et rapporte à ses romans historiques l’honneur d’avoir « imprimé une allure gigantesque à un genre de composition injustement appelé secondaire », la gloire u d’avoir fait concurrence à l’état civil. » Lui-même il se fait dans les Chouans l’historien de la guerre de Vendée, dans Une ténébreuse affaire celui de la France du premier Empire, dans Un ménage de garçon celui des mœurs de la Restauration[1]. Gautier écrit le Capitaine Fracasse, Arria Marcella et le Roman

  1. Cf. Brunetière, Manuel de l’histoire de la littérature française, p. 446.