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arrivés à une certaine hauteur, les cours ne peuvent se maintenir qu’en montant encore. Comme pour les frêles châteaux de cartes, l’édifice ne se soutient qu’en s’élevant toujours, jusqu’à ce que, l’équilibre rompu, la base chancelle et entraîne l’effondrement. En attendant l’heure de la catastrophe, l’engouement se propage, comme par des vibrations rapides et des ondulations de plus en plus amples à travers toutes les couches de la société. La hausse est toujours bienvenue du public ; chacun espère en avoir sa part ; chacun, en ouvrant son journal, le soir ou le matin, se réjouit de voir sa fortune grossir, supputant la plus-value déjà réalisable, escomptant en rêve les bénéfices prochains. Tous les âges, tous les sexes, toutes les conditions sont entraînés. Ici encore, se manifeste l’instinct d’imitation, si marqué dans tous les faits sociaux ; on sait que le public n’achète jamais qu’en hausse ; la baisse, au lieu d’encourager les achats, provoque les ventes. La mode aussi s’en mêle ; telle valeur a la vogue, sans qu’on sache trop pourquoi. Il y a parfois une sorte de snobisme dans l’engouement pour telle mine ou telle banque.

On parle Bourse au salon, au club, au restaurant, au fumoir, à la chasse. On se raconte, avec une envieuse admiration, qu’un tel et un tel ont, en moins d’un trimestre, gagné des centaines de mille francs ; et l’écho troublant de ces imprudens propos résonne dans l’antichambre, dans l’office, dans la loge du concierge, y éveillant des convoitises et des espérances de fortune. Au dîner, laquais et maîtres d’hôtel, tout en présentant les plats, ont l’oreille aux aguets, et s’efforcent de retenir, comme de magiques « tuyaux », les noms de valeurs exotiques qu’ils entendent tomber de la bouche de leurs maîtres. Ainsi, durant la fièvre des mines d’or, à la ville, autour de la table de thé, à la campagne, entre deux parties de tennis, les jeunes femmes et les douairières vous demandaient en souriant quelle était la meilleure mine, celle qui devait doubler ou tripler en quelques semaines et permettre, avec une modeste mise de quelques louis, d’acheter un landau neuf ou une nouvelle paire de chevaux.

Pour beaucoup de femmes ou d’hommes du monde, c’est en effet l’occasion de se permettre quelques dépenses de luxe. « La carrosserie était dans le marasme, me disait un commerçant, au printemps du 1895 ; les mines d’or ont ramené les commandes. » Les joailliers et les couturières étaient en fête. Les maris trop prudens étaient grondés par leurs femmes, pour ce qu’elles appelaient