Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’antiques maisons aux étroites fenêtres, un clocher isolé dont le dôme d’or étincelait. Une enceinte crénelée, faite d’un parapet de terre entre deux blindages de bois, descendait vers le ruisseau gelé et circonscrivait ce paysage, plein de douceur et de religion.

Deux robustes frères portiers, effrayés à la vue des fusils, fermèrent précipitamment les battans de la grille qui grincèrent en refoulant la neige de la nuit.

— Attendez, bons soudards ! criaient-ils en ôtant leurs bonnets, par peur ou par politesse. Nous vous apportons tout à l’heure la bénédiction de l’abbé.

Ils s’enfuirent dans cette cour fermée et morte, toute pleine d’une odeur d’autrefois. Quelques Noëls envolés au son des cloches, quelques hivers bientôt chassés par les printemps, quelques générations éteintes, vite remplacées et d’âge en âge reprises par cette vie monacale, toujours pareille et que la mort même n’altérait pas : — à travers ces obstacles minces, on se sentait là tout près du passé.

— Au nom du Père et du Fils, dit d’une voix profonde le frère procureur, en tournant la clef, — soyez les bienvenus.

La pieuse douceur de l’atmosphère, l’odeur de la cire, l’encens évaporé dans l’air surprirent, au seuil de l’église, les rudes pèlerins ; ils remercièrent les Images d’abord, les frères ensuite, puis l’abbé, grave et patriarcal.

— Merci aussi à votre cloche, ajouta l’officier ; c’est elle qui nous a appelés vers vous.

— Oui, oui, elle aime les soldats ; nous-mêmes, autrefois, avons été quelque peu soldats ; en cherchant bien dans nos resserres, vous trouveriez encore des mousquets ; et quant à la cloche, c’est une brave servante de l’Empereur, un vétéran des vieilles guerres...

Au temps jadis, — l’année même où notre communauté se formait, — elle fut coulée d’un singulier métal ! Des marins de Novgorod avaient amené à la côte une épave qui portait un canon ; avec ce canon du naufrage, on fondit une cloche qu’on apporta toute neuve à notre monastère tout neuf.

Cent ans elle appela au temple de Dieu les pèlerins, les voyageurs, les vagabonds, les exilés, les affligés. Nos frères l’avaient logée dans ce clocher où vous la voyez ; et, ne la sonnant plus qu’aux grands jours, ils se servaient d’une cloche plus petite pour les exercices habituels.