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couronne lui faisaient un devoir de recourir aux armes, après avoir épuisé les conseils. Le Roi, avec une généreuse confiance, a remis la garde du drapeau blanc à des capitaines qui ont fait triompher d’autres couleurs. Ils lui rapprendront le chemin de la victoire, il n’a jamais oublié celui de l’honneur. »

Ce beau discours de Chateaubriand n’était que le développement des pensées que nous lui avons vu formuler à Vérone, dans sa conférence du 8 novembre avec ses collègues, les plénipotentiaires du roi Louis XVIII. Portées à la tribune, destinées à être lues par tous les cabinets, ces déclarations ne pouvaient contenir toute sa pensée, mais elles étaient bien conformes à la manière de voir qu’il avait toujours eue et qu’à certains jours seulement, il atténuait pour ne pas blesser M. de Villèle, dont il tenait à se ménager l’appui. Seulement, même au milieu de ses plus grands et de ses plus légitimes succès, il manquait de cette simplicité, plus nécessaire que partout ailleurs dans un pays égalitaire, où les supériorités intellectuelles et sociales veulent plutôt être dissimulées qu’ouvertement affichées. Il se plaignait, par suite, d’être incompris ; il se trompait. On le comprenait fort bien ; c’était à la primauté et à la primauté exclusive qu’il prétendait ; mais ses collaborateurs, et le principal d’entre eux surtout, lui demandaient la part de justice et de coopération qu’ils étaient en droit d’en attendre pour l’œuvre à laquelle ils travaillaient en commun. Son tort est de ne l’avoir pas compris. Ce fut, dix-huit mois après, la cause de sa chute, aussi triste pour le pays et pour lui-même qu’inévitable dans un temps donné.

Les crédits militaires étant votés à une majorité considérable et M. de La Garde ayant quitté Madrid, après les envoyés des trois cours du Nord, il ne restait plus qu’une difficulté à craindre qui pût arrêter l’expédition, c’était l’opposition de l’Angleterre. Elle fut très vive au premier abord et M. Canning, qui avait remplacé lord Castlereagh au ministère des Affaires étrangères, ne cacha pas à notre chargé d’affaires à Londres tout le mécontentement que lui causait le discours du roi Louis XVIII. « C’est donc, dit-il à M. de Marcellus, une croisade pour des théories politiques que vous reprenez. Je ne comprendrai jamais qu’on tire le canon contre des idées et des formes de gouvernement. Ignorez-vous que le système des constitutions émanées du trône nous est odieux et que le système britannique n’est que le butin de longues victoires remportées par les su jets contre les monarques ?